Joachim SALAMERO - Faux révolutionnaires...(1977)

 


 

FAUX RÉVOLUTIONNAIRES...

 

    II faut posséder une bonne dose de patience et de tolérance pour encaisser sans broncher, les ahurissantes affirmations que nous avons entendues au Congrès de la C.G.T.-F.O.!

    Le sommet de l'ignorance - ou de la mauvaise foi - est sans doute atteint par ce délégué, qui déclarait à la tribune: «Le programme commun de la gauche, c'est la réalisation de la Charte d'Amiens ...».

    Les délégués des syndicats confédérés, qui au Congrès d'Amiens en 1906, votèrent à une écrasante majorité la fameuse Charte, ne se doutaient pas que 71 ans plus tard, ceux qui ont tenté aujourd'hui d'entrainer la C.G.T.-F.O. dans les voies de l'électoralisme et du soutien à des partis politiques, se réclameraient d'eux.

    La Charte d'Amiens, c'est le compromis entre syndicalistes réformistes, anarcho-syndicalistes, et syndicalistes révolutionnaires, réunis contre les guedistes pour repousser leur prétention de lier le syndicat - ORGANISATION DE CLASSE - au parti politique, qui lui, ne peut pas, en tant que candidat à la gestion de l'État, être une organisation de classe.

    La Charte d'Amiens, c'est l'affirmation que si la finalité du syndicalisme ouvrier est l'abolition du salariat et du patronat, par l'expropriation capitaliste, ce ne sont ni l'État, ni le parti ou l'union de partis exerçant ce pouvoir de l’État, qui peuvent réaliser cet objectif.

    Certes, la formulation de la Charte d'Amiens (qui n'est pas un évangile): «le syndicat aujourd'hui groupement de résistance, sera dans l'avenir le groupement de production et de répartition, base de réorganisation sociale», mériterait d'être revue notamment à la lumière des expériences révolutionnaires vécues depuis 1906, et l'ambiguïté sur le rôle du syndicat, qui ne saurait être à la fois de gestion et de défense inconditionnelle des intérêts propres aux travailleurs, doit être levée aujourd'hui impérativement.

    Mais une chose au moins est parfaitement claire: les militants de 1906 signifiaient nettement qu'il appartient à la classe ouvrière ELLE-MÊME, sans intermédiaire, de réaliser sa propre émancipation.

    La Charte d'Amiens, c'est l'indépendance de classe du syndicat, sans aucune concession, c'est l'antiétatisme, c'est la négation de la suprématie des partis sur les syndicats.

    C'est exactement le contraire des perspectives du programme de l'union de la gauche, qui renforce l'étatisation et l'intégration du syndicalisme, soit à l'entreprise par l'autogestion, soit à l'État pour la «planification démocratique».

    Ceux qui au Congrès de la C.G.T.-F.O. ont présenté une résolution se réclamant des finalités de la Charte d'Amiens, sont des ignorants ou bien des démagogues, et méritent que nous les combattions.

    Ils ont osé (au nom de la Charte d'Amiens!) proposer «l'accroissement de la productivité par l'organisation du travail réalisé avec le concours effectif des travailleurs».

    Ils ont écrit qu'il faut «réserver des facilités de crédits aux seules entreprises concurrentielles».

    Ils se sont prononcés pour la «planification souple élaborée avec le concours des travailleurs» et pour «la gestion des biens collectifs par les travailleurs, les usagers et l'état».

    Autrement dit, ils sont des partisans résolus de l'intégration des syndicats à l'état, du syndicalisme réduit au rôle de courroie de transmission, pour faire exécuter à la classe ouvrière, les objectifs décidés par les «planificateurs démocratiques».

    Faux révolutionnaires, utilisant la Charte d'Amiens comme paravent, dignes émules des Lagardelle et autres Labi, ils nous trouveront en permanence sur leur chemin. Et même s'ils ont la dent dure, qu'ils sachent bien que les anarcho-syndicalistes ont la peau encore plus dure.

    Comment d'autre part, ne pas faire le rapprochement entre leurs déclarations de principes, et les conclusions du colloque réuni au mois d'avril 1977 par la C.G.T. Pas n'importe quel colloque: la Commission exécutive confédérale, les responsables des fédérations, des U.D., des comités régionaux, des grandes entreprises.

    «L'Humanité» du 23 avril nous apprend que cette réunion avait pour but d'examiner la situation, car: «Au moment où les partis de gauche se préparent à mettre à jour le programme commun, la C.G.T. a quelque chose à dire sur la définition du champ de nationalisation».

    C'est pourquoi la C.G.T. estime que «le problème est donc de parvenir à l'alliance à long terme de toutes les catégories de salariés autour d'un même projet de démocratisation de l'entreprise...».

    Ils en rajoutent en expliquant que «c'est particulièrement vrai pour le rôle que la C.G.T. propose de faire jouer au Conseil Économique et Social et aux Comités Régionaux dans une planification démocratique».

    Ce qui amène G. Séguy à conclure: «Nous pensons qu'il ne saurait y avoir de démocratie réelle sans l’extension de la place des fonctions, des pouvoirs des syndicats».

    Répétons-le une fois de plus: la crise du système capitaliste implique pour la bourgeoisie et ses alliés objectifs, la mise en place de systèmes d'intégration, de collaboration de classe, afin de permettre la survie du régime de la propriété privée des moyens de production et de l'état. Dans ce contexte, la bataille pour le strict maintien de l'indépendance de classe du syndicalisme est une bataille fondamentalement révolutionnaire.

    Cette bataille est et sera de plus en plus rude. Nous la mènerons, sans faiblesse et sans concession.

 

Jo SALAMERO (1931-2021) militant cgt-fo.

Source : l'Anarcho-Syndicaliste, n°16 de mai 1977

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.