Joachim SALAMERO - syndicalisme de «SERVICES» ou de REVENDICATIONS ? (1988)

 

 

SYNDICALISME DE «SERVICES» 

OU DE REVENDICATIONS ?


    Les salariés ne se syndiquent pas pour des raisons idéologiques, mais pour défendre leurs intérêts immédiats, pour améliorer leurs conditions matérielles d’existence. A cette action qu’ils mènent par le syndicat, peuvent venir s’ajouter d’autres activités comme, par exemple, la défense juridique.

    Le syndiqué, victime de l’arbitraire patronal, sanctionné, à qui l’on supprime des acquis conventionnels ou légaux, demande tout naturellement aux responsables du syndicat d’organiser sa défense. Il a raison, parce que s’il a adhéré, s’il a rejoint l’organisation collective qu’est le syndicat, c’est aussi pour cela.

    Assurer la défense juridique, intervenir dans d’autres domaines qui sont de la compétence syndicale pour tenter de résoudre favorablement les cas individuels, ce n’est pas «rendre un service», c’est défendre l’intérêt individuel d’un salarié contre d’autres intérêts; en remplissant cette mission, le syndicat assume son rôle naturel.

    Cette fonction du syndicat n’est possible que parce qu’il est, d’abord, une force collective qui, à cause de cela, peut organiser la solidarité pratique entre les individus appartenant à la même classe sociale.

    Il n’y a rien de commun entre cette réalité aussi ancienne que le syndicalisme lui-même et la conception qui tend à se développer selon laquelle les syndicats devraient consacrer le plus clair de leur temps à gérer beaucoup plus «de services» de toutes sortes, de façon à «fidéliser» les adhérents et à en gagner de nouveaux. Il n’est pas surprenant que cette idée se répande dans une période où la gestion de la crise exige que les capitalistes et leurs États recherchent un consensus impliquant les syndicats dans la co-gestion de cette crise: des syndicats cogérant les effets n’a guère influé sur la réalité sociale, Raymond Soubie n’en écrit pas moins, «très prudemment»: «La météorologie sociale est un art encore plus difficile que la prévision du temps».

    André Bergeron a tout à fait raison de répéter inlassablement les mêmes propos concernant les salaires, la diminution de la durée du travail, la protection sociale collective. Si le secrétaire général d’une confédération ne rappelait pas les préoccupations de ses mandants, que voudrait-on qu’il dise?

    Si le syndicat ne s’obstinait pas à formuler en permanence les revendications essentielles des salariés, s’il n’essayait pas d’agir pour les faire aboutir, autrement dit s’il abandonnait sa raison d’exister, que deviendrait-il? Organisateur de loisirs, de soirées culturelles, de voyages? Avec en plus la participation à la «gestion des personnels» dans le cadre de «l’inévitable modernisation» des entreprises? Ce qui signifie en clair la gestion des déclassements, des licenciements?

    Gageons que si le syndicalisme ouvrier indépendant confédéré s’engageait dans cette voie, on n’entendrait plus parler de crise du syndicalisme, et que les subsides afflueraient. Le problème des cotisations serait résolu, mais aussi, du même coup, celui de l’indépendance.

    Pour en revenir aux «prévisions météorologiques», s’il n’est pas question ici de jouer à Mme Soleil, disons que plusieurs faits indiquent depuis deux ou trois mois qu’il n’est pas impossible que le temps se gâte. 

    Encore qu’en ce domaine, les mêmes effets désastreux de la crise pour les salariés, en même temps qu’ils organiseraient des «services» pour ces mêmes salariés, voilà une belle perspective pour tous ceux, d’où qu’ils viennent, dont la hantise est que lassée d’être éternellement dupée, révoltée par les promesses et engagements électoraux non tenus, la classe ouvrière ne fasse irruption sur le scène sociale, bousculant les savantes constructions consensuelles.

    Dans Liaisons Sociales mensuel (12 septembre 1988), Raymond Soubie, traitant du «rituel» de la rentrée sociale, remarque qu’«André Bergeron affirme depuis quelques années, à propos des salaires, qu’il ne faut pas trop tirer sur la corde».

    Constatant que depuis plusieurs années, la répétition des mêmes propos n’auront pas la même signification pour tout le monde: mauvais temps pour le CNPF et son gouvernement, mais beau temps pour la classe ouvrière. Les ouvriers des chantiers de Saint-Nazaire, les personnels des hôpitaux, et plus particulièrement les infirmières et infirmiers, nos camarades de l’Association pour la formation professionnelle des adultes, les enseignants de Tours, les journalistes des chaînes publiques de télévision et de radio montrent qu’il est possible d’organiser l’action autour de quelques revendications qui, pour l’essentiel, sont centrées sur le pouvoir d’achat et sur les effectifs, donc sur l’emploi. 

    La pression exercée ailleurs, comme à la Sécurité sociale pour la défense du régime de retraite complémentaire, la tension qui grandit dans plusieurs entreprises sont la preuve que l’expression concrète du mécontentement généralisé est en train de s’organiser. 

    Nul ne peut prétendre fixer des délais et prévoir un calendrier précis. Ce sera de l’irresponsabilité totale. Mais, ce qui n’est pas irresponsable, c’est d’affirmer que la période d’attentisme des salariés est terminée. Nous entrons dans celle de la maturation, pendant laquelle de grèves générales, mais partielles, dans des secteurs donnés préparent des mouvements de plus grande ampleur.

    Il serait dommage que le syndicalisme, et notamment le syndicalisme libre, indépendant, ne s’appuie pas sur ce mouvement réel, sur cette reconstitution d’un rapport de forces favorable aux salariés, pour dire clairement au patronat que «l’on ne négocie plus à partir de ses propositions et revendications, mais à partir des nôtres». Inverser la tendance, reprendre l’initiative, il n’y a pas de tâche plus urgent pour le syndicalisme.

 

Joachim SALAMERO (1931-2021) militant cgt-fo.

Source :  L’Anarcho-syndicaliste, n°62 de septembre-octobre 1988

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