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vendredi 29 mars 2024

James GUILLAUME - «Droits et devoirs. La RÉSISTANCE à l’OPPRESSION» (1912)

 

 

Droits et devoirs

La résistance à l’oppression


    "Un citoyen, quel qu’il soit, se grandit plus par l’accomplissement de ses DEVOIRS que par la revendication de ses DROITS."

    Cette monumentale bêtise a été dite à Nantes, le 27 octobre, par M. Raymond Poincaré, président du conseil des ministres et avocat-conseil de je ne sais quelle grande compagnie capitaliste. En parlant ainsi, M. Raymond Poincaré s’est mis en contradiction flagrante avec tout ce qu’ont dit et pensé les révolutionnaires de 1789 et de 1793 dont le parti radical se réclame.

    En juillet 1789, l’Assemblée constituante avait commencé à discuter la proposition de placer en tête de la Constitution une Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Le clergé sentait combien serait dangereuse, pour la vieille tradition d’obéissance passive à “l’autorité légitime” (on dit aujourd’hui “l’autorité légalement établie”, lettre de M. Guist’hau à l’Union pédagogique française, 12 octobre), – la proclamation de ces droits de l’homme, dont la reconnaissance était incompatible avec l’existence d’une société bien réglée. Dans la séance du samedi 1er août, deux évêques, celui d’Auxerre et celui de Langres, soutinrent qu’une Déclaration des droits était inutile ; et le curé Grandin, député du clergé de la sénéchaussée du Maine, dit qu’il serait imprudent d’exposer les droits sans exposer les
devoirs. Le lundi 3 août on continua de discuter pour savoir si l’Assemblée ferait ou ne ferait pas une Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Enfin, dans la séance du 4 août au matin, la question fut tranchée, après un débat tumultueux. Pour faire échec au projet, un avocat obscur, P.-C.F. Dupont, député des pays de Bigorre, avait présenté un amendement consistant à remplacer les mots “Déclaration des droits de l’homme et du citoyen” par ceux-ci : Déclaration des droits et devoirs de l’homme en société ; le curé Grégoire et l’avocat janséniste Camus appuyèrent l’amendement ; l’évêque de Chartres, M. de Lubernac, déclara que l’idée de devoirs était un correctif nécessaire à l’idée de droits, et ajouta, aux applaudissements du clergé, “qu’il conviendrait de placer à la tête de la Déclaration quelques idées religieuses noblement exprimées.” On alla aux voix : par 570 suffrages contre 433, l’assemblée décida de s’en tenir à une Déclaration des droits.

    La lutte avait été chaude ; et l’on voit combien était nombreuse la portion de l’Assemblée qui, défendait l’ancien régime : un déplacement de 69 voix eût suffi pour transformer la minorité en majorité ! Si M. Poincaré eût été là, il eût évidemment voté avec les 433.

    Le 23 juin 1793, la Convention venait d’entendre la lecture du projet d’une nouvelle Déclaration des droits, destinée à remplacer celle de 1789, œuvre d’une assemblée insuffisamment affranchie du préjugé monarchique. La Convention voulait voter le projet sans débat, par acclamation. Mais un vieux radoteur, Raffron de Trouillet, se leva et réédita la proposition qu’avait écartée la Constituante en 1789 : il demanda que le titre de la déclaration fut ainsi fixé : Déclaration des droits et des devoirs de l’homme en société. La grotesque motion de Raffron souleva une protestation formidable. L’orateur le plus écouté de l’assemblée révolutionnaire, Robespierre, parla en ces termes : “Je me rappelle que l’Assemblée constituante, à l’époque où elle était encore digne du peuple, a soutenu un combat pendant trois jours contre le clergé, pour qu’on n’insérât pas dans la Déclaration le mot devoirs. Vous devez simplement poser les principes généraux des droits du peuple, d’où dérivent naturellement ses devoirs ; mais vous ne devez pas insérer dans notre Déclaration le mot devoirs.” La proposition de Raffron fut rejetée.

    En l’an III, lorsque la réaction fut devenue maîtresse, après la défaite des sans-culottes et l’égorgement des derniers Montagnards, elle fit une nouvelle constitution, établie sur ces principes énoncés par le rapporteur, Boissy d’Anglas :

    “Nous devons être gouvernés par les meilleurs ; les meilleurs sont les plus instruits et les plus intéressés au maintien des lois : or… vous ne trouverez de pareils hommes que parmi ceux qui, possédant une propriété, sont attachés au pays qui la contient, aux lois qui la protègent, à la tranquillité qui la conserve… Un pays gouverné par les propriétaires est dans l’ordre social… Nous vous proposons donc de décréter que, pour être éligible au corps législatif, il faut posséder une propriété foncière quelconque.”

    Naturellement, avec de pareils principes, la Déclaration des droits votée en 1793 devait disparaître : elle avait été “conçue au sein du crime”, elle contenait des principes “anarchiques”, elle devait être “jetée dans un éternel oubli”. Celle de 1789 elle-même ne pouvait être maintenue dans son intégralité ; il fallait y biffer, entre autres, l’article qui disait : Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. “Je soutiens, déclara un représentant, que l’homme n’a pas en naissant la liberté et l’égalité. Il n’y a point de liberté dans la nature.” Et l’article fut supprimé. Faure, député de la Seine-Inférieure, demanda qu’une Déclaration des devoirs fût jointe à la Déclaration des Droits ; c’est à l’absence d’une semblable déclaration qu’il attribua “tous les malheurs dont la France a été le théâtre”. On lui donna raison : ce que n’avaient admis ni 1789 ni 1793, la réaction de 1795 le trouva bon. Et le 26 thermidor an III, la triste Convention qui reniait la Révolution vota les neuf articles d’une ridicule Déclaration des Devoirs (
1 dans le texte).

    Pendant ce temps s’organisait, parmi les détenus républicains enfermés dans les prisons de la réaction, particulièrement dans celles du Plessis et des Quatre-Nations, la Conspiration des Égaux. Et dans le Manifeste des Égaux un hardi philosophe écrivait, au commencement de l’an IV, ces lignes mémorables :

    “Il nous faut, non pas seulement cette égalité transcrite dans la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen, nous la voulons au milieu de nous, sous le toit de nos maisons… Assez et trop longtemps moins d’un million d’individus disposa de ce qui appartient à plus de vingt millions de leurs semblables, de leurs égaux. Qu’il cesse enfin, ce grand scandale que nos neveux ne voudront pas croire ! Disparaissez enfin révoltantes distinctions de riches et de pauvres, de grands et de petits, de maîtres et de valets, de gouvernants et de gouvernés !

    Ce fut la réponse du peuple – ce qui s’appelle aujourd’hui la C.G.T. – à la monstrueuse politique des auteurs de la Déclaration des devoirs et de la constitution bourgeoise qui prétendait instaurer le gouvernement des meilleurs (en grec : aristocratie), c’est-à-dire des propriétaires. Aujourd’hui, la C.G.T. – “ce qu’on appelait le peuple il y a soixante ans” (F. Buisson) – répond aux ministres par la voix de l’Union des Syndicats de la Seine :

    “Laisseriez-vous, camarades, attaquer les instituteurs ? Non, vous les défendrez, ces instituteurs courageux qui sont venus grossir les rangs de la C.G.T. dans un désir de justice et dans un élan de fraternité ; Défendez-les, c’est un devoir, un devoir sacré, le devoir de solidarité auquel vous n’avez jamais failli !”

James GUILLAUME*

La Bataille Syndicaliste (quotidienne) du 8 novembre 1912

(1) : Tout l’exposé qui précède est extrait du volume La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, Paris, Hachette, 1900

* : Né le 16 février 1844 à Londres (Grande-Bretagne), mort le 20 novembre 1916 ; un des fondateurs de la Fédération jurassienne de l’AIT, puis partisan du syndicalisme révolutionnaire. [le Maitron]

 

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