Pierre MONATTE : Le congrès d'Amiens vu par Pierre Monatte (1906)



Le congrès d'Amiens vu par Pierre Monatte
 
    Le texte de Pierre Monatte ici reproduit parut dans Les Temps nouveaux, l’hebdomadaire anarchiste dirigé par Jean Grave, dans les numéros du 27 octobre, du 3 et du 10 novembre (numéros 26, 27 et 28 de l’année 1906). Le sujet, comme le dit le titre même de l’article, en était le congrès de la CGT qui venait de se tenir, du 8 au 13 octobre, à Amiens, ce congrès d’où est issue la motion passée à l’histoire sous le nom de « charte d’Amiens », une appellation postérieure au congrès lui-même.

 ✊✊✊✊✊

    On avait prévu – assez généralement – que ce congrès serait passionné, que la lutte des idées y serait violente. Il n’en a rien été. La discussion a été loin d’atteindre le degré d’ardeur auquel on s’attendait ; certes, elle a été parfois vive ; il y a eu opposition tranchante des deux manières de concevoir le syndicat. Mais il manquait à ces deux conceptions d’avoir une force à peu près égale ; il manquait aux partisans de la proposition du Textile cette confiance qu’au cours de la discussion ils pourraient conquérir la majorité du congrès, de même qu’il manquait aux syndicalistes le sentiment qu’ils avaient devant eux et contre eux un adversaire sérieux et redoutable. Il n’est pas besoin de grands efforts pour enfoncer une porte ouverte. Ainsi l’on peut dire qu’il n’y a pas eu grand peine à écraser ces pauvres guesdistes du Nord. D’autant plus qu’ils avaient, par leur simple façon de discuter, déjà créé dès l’exposé de leur pensée un fort courant d’hostilité contre leur esprit, qui venait s’ajouter à l’hostilité, cependant suffisante, qui accueillit leur proposition.

    L’effort considérable déployé par la fraction guesdiste pour constituer au moins une forte minorité en faveur des rapports avec le parti a donné le plus misérable résultat. C’est en vain que le citoyen Cachin a parcouru, en sa qualité de secrétaire du Parti socialiste, la moitié de la France. En vain aussi que les députés Ghesquière, Betoulle et Vilm (sic) (1) ont voyagé beaucoup. Quant à la tournée d’enrôlement qu’avait commencée le citoyen Saint-Venant (2), secrétaire de la Fédération des syndicats de Lille, elle avait dû être interrompue, à mi-chemin, que dis-je à mi-chemin, au quart de chemin, devant l’insuccès le plus pénible. Le mot d’ordre socialiste, lancé de tous côtés, n’aura pas eu d’autre résultat que de montrer la vérité de cette affirmation que nous avions faite ici : que les militants ouvriers socialistes ne sont pas, dans notre pays, de tempérament à obéir au doigt et à l’œil à des dirigeants socialistes. Et il y a là, ma foi, dans cette marque indiscutable d’esprit d’indépendance, une constatation profondément agréable pour tous les révolutionnaires véritables.

    L’on pouvait, dès le lundi, dans cette première journée du congrès employée à la vérification des mandats, se rendre compte, par les échanges de vues avec les délégués de province, que la proposition du Textile serait écrasée. La province est trop souvent une énigme ; nous prévoyions bien qu’elle serait dans une forte majorité défavorable au rapprochement et aux rapports avec le parti.

    Mais ce n’était surtout qu’une forte impression. La voix de la province, qui se fait si rarement entendre ou à qui notre centralisme permet si rarement de s’exprimer, n’avait pas été entendue claire et nette comme à cette première journée de congrès. Pour tous, c’était le mandat ferme de s’en tenir à l’autonomie présente, au syndicat, organisme de lutte quotidienne et de transformation sociale. Naturellement, les guesdistes étaient déçus ; ignorants jusqu’à ce jour de l’esprit des syndicats pour la bonne raison qu’ils n’ont jamais été mêlés à leur vie générale et à leurs efforts (3), ils avaient cru pouvoir manœuvrer dans ce milieu comme dans un congrès du parti. Ils apercevaient alors avec une stupeur douloureuse que leurs camarades socialistes, loin de venir grossir leur petit noyau, étaient aussi résolus que les syndicalistes, étiquetés à tort ou à raison anarchistes, à repousser toute tentative de subordination du syndicat au groupe électoral. C’est que maintenant il n’est guère de coin de province qui, depuis que le socialisme est entré dans les ministères et à la vice-présidence de la Chambre, n’ait eu son candidat socialiste ; et ce candidat, qui a si souvent ses grandes et petites entrées à la préfecture et à la sous-préfecture, étonne un peu, sinon beaucoup, le militant socialiste ouvrier qui croit à la lutte de classes et qui, jusqu’ici, était plutôt considéré comme un criminel et comme un fou. Les ouvriers socialistes clairvoyants n’en reviennent pas de s’être vus subitement tant d’amis dévoués dans la classe bourgeoise et dans les milieux administratifs au lendemain de la participation effective ou occulte de chefs socialistes au gouvernement. Plus exactement, ils sont revenus de leur étonnement, ils voient à peu près clair aujourd’hui. Espérons qu’un bon ministère, où Viviani apportera son coup de main socialiste à Briand et Clemenceau, les aidera à voir complètement clair.

    Ils furent un peu étonnés quand, à propos de l’ordre du jour de flétrissure visant Le Réveil du Nord (4), ils virent le citoyen Inghels, de Lille, demander les circonstances atténuantes en faveur de ce journal (5).

    Pas une voix, autre que celles des guesdistes, ne s’éleva pour défendre Le Réveil du Nord. Les syndicaux réformistes s’associèrent à la mesure de justice ouvrière prise à l’immense majorité du congrès contre un homme et contre un journal pour qui la diffamation la plus outrageante constitue un aliment courant de polémique.

    Le congrès d’Amiens a été moins passionné qu’on ne l’espérait. On pouvait encore, au début du congrès, croire cependant à la réédition du corps à corps – oh ! théorique – de Bourges (6). L’Union des mécaniciens de la Seine avait distribué une réponse indignée à un passage du rapport du Comité confédéral. Dans cette réponse ornée du titre : « Une infamie », l’Union des mécaniciens accusait Griffuelhes d’avoir, à propos des grèves parisiennes du 1er Mai, fait la louange des non-syndiqués aux dépens moraux des syndiqués. Mais la réponse de Griffuelhes amena, dès les premiers mots, une baisse soudaine du ton de la discussion. Le secrétaire de la fédération des Mécaniciens, Coupat lui-même, intervenait pour déplorer le gros mot prononcé par les représentants d’un des syndicats de sa fédération. Et la tâche de Griffuelhes était aisée sur ce point. N’ayant pas péché, quel besoin y avait-il de lui infliger une pénitence si amère ?

    La discussion se continuait, sur ce ton radouci ; toujours à propos du rapport confédéral, Keufer venait accomplir l’austère devoir de reprocher au Comité confédéral la décision de ne pas participer à la conférence organisée à Amsterdam, en 1905, par le Secrétariat syndical international.

    La CGT, en qualité d’organisation nationale affiliée au Secrétariat international, avait demandé l’inscription à l’ordre du jour de la conférence des centres syndicaux, de trois questions : la journée de huit heures, l’antimilitarisme, la grève générale ; la CGT avait fait de la mise en discussion de ces questions la condition formelle de sa présence. Elle n’assista pas à la conférence d’Amsterdam. C’est contre quoi Keufer s’élevait, reprochant au syndicalisme français de se mettre hors de la famille mondiale ouvrière.

    Griffuelhes lui répondit en retraçant les travaux insignifiants accomplis par les deux conférences précédentes, celles de Stuttgart et de Dublin (7).

Le congrès fit sienne une motion Delesalle-Pouget, invitant la CGT à poser à nouveau ces questions aux organisations syndicales étrangères, dût-on, pour le faire, passer par-dessus la tête du Bureau international.

    L’examen des critiques élevées contre les rapports confédéraux terminé, et ces rapports approuvés par de puissantes majorités, le congrès avait à aborder son interminable ordre du jour. Deux questions, de suite, en étaient détachées comme méritant une discussion particulièrement profonde : celle des rapports avec le parti, puis l’antimilitarisme. Cette dernière devait malheureusement ne pas être discutée, la proposition du Textile ayant accaparé la plus grosse partie du temps du congrès.

    Enfin, on discute la proposition du Textile ! C’est Renard, le secrétaire de la fédération, qui l’expose. Il le fait avec une habileté, avec une maîtrise inattendues. La proposition n’est que douceur, les coins en sont rognés.

    Il commence d’abord par esquisser à traits légers sa conception du syndicat : pas d’antimilitarisme ni d’antipatriotisme, qui sont de la politique.

    Le syndicat n’est pas autre chose que ce que la loi a voulu qu’il fût : un organe qui doit défendre les salaires, la dignité des travailleurs, les conditions de vie, etc.

    Cette bonne petite « impasse syndicale » ne peut naturellement être de quelque utilité que si elle s’appuie sur une législation sociale, défendue devant les Parlements par le parti socialiste. D’où nécessité indispensable de marcher la main dans la main avec l’action politique. D’ailleurs, voyez la région du Nord et admirez les résultats obtenus par la méthode que nous vous demandons d’adopter. Nous sommes dans le Nord 315 syndicats, 76 000 syndiqués, 300 groupes, nous avons de nombreux conseillers municipaux, 8 députés et 105 000 électeurs.

    Prenez notre méthode, et d’ici peu vous connaîtrez les mêmes splendeurs. Vous aurez, vous aussi, vos cathédrales.

    Notre camarade Dooghe, le premier, donne un coup de pied dans la cathédrale du Nord. Il s’attache particulièrement à montrer que nulle part que dans le Nord et dans le textile on a oublié de donner à la classe ouvrière cette foi dans sa force, dans son rôle, qui est indispensable non seulement pour les luttes décisives et dernières, mais pour l’effort quotidien. Il montre avec vigueur que tout ce qui n’exerce pas l’initiative ouvrière est funeste au prolétariat. Or qu’a fait le Nord, à ce point de vue ? La cathédrale n’a connu que des dévots et non des croyants.

    Dooghe demande en outre au congrès ce que devront faire les organisations de la fédération du Textile qui ne veulent pas de l’entente avec le parti, décidée au congrès fédéral de Tourcoing.

    Puis vient le grand, le long discours de Niel, si vaste que les quelques bonnes choses qui s’y trouvent y sont totalement perdues.

    D’ailleurs ces bonnes choses sont minimes ; elles ne sont rien à côté de sa pensée essentielle : l’action syndicale ne peut se suffire à elle-même. 

✊✊✊✊✊

    Je n’ai fait que signaler hâtivement, la semaine dernière, l’intervention de Niel dans la discussion des rapports des syndicats avec le parti socialiste. Une impression que m’a produite son discours me paraît cependant utile à mentionner. En écoutant Niel, il me semblait entendre non pas un homme qui vit l’action syndicale, mais un homme qui est un spectateur de ce mouvement et qui ne comprend pas, ou comprend mal, qu’à le vivre, à s’y donner de toute son énergie, on est obligé, quand on accomplit un acte ou prononce un jugement, de faire intervenir dans la formation de ce jugement et dans l’exécution de cet acte et la froide raison et la chaude et vivifiante passion. Les deux éléments peuvent faire bon ménage ensemble. Mais exclure la passion et ne compter que sur la raison de la vertu critique pour édifier une œuvre humaine, c’est risquer fort de ne pas construire grand-chose. Aussi la plupart des critiques faites par Niel aux anarchistes qui militent dans les syndicats me paraissent-elles assez mal fondées.

    Les anarchistes n’ont certes pas créé le mouvement syndicaliste actuel qui fait la force de la classe ouvrière française, mais ils y ont collaboré dans une part honorable. Et ce n’est pas d’eux que les syndicalistes purs ont à craindre une influence déviatrice. Est-il dans nos visées de subordonner le syndicat à une autre action ? Non pas. À quoi d’ailleurs chercherions-nous à le subordonner ? Notre ambition et notre espoir, c’est de faire donner aux syndicats et aux individualités un maximum d’efforts. De notre énergie, nous ne faisons pas deux parts, une réservée à l’action politique et l’autre à l’action syndicale. Tous nos efforts sont acquis au mouvement syndicaliste que nous voudrions voir progresser et se développer vers une telle puissance que l’action autonome de la classe ouvrière soit largement suffisante pour toutes les luttes et que bien des concours douteux puissent être remerciés. Le syndicalisme, qui est encore à ses premières années de vie réelle, a ses faiblesses et comporte ses illogismes. Je n’en veux pour exemple, parmi plusieurs, que les subventions acceptées et considérées comme nécessaires trop généralement encore. Il faut accroître l’autonomie des organismes de la classe ouvrière, et pour cela il est nécessaire de pouvoir compter sur des dévouements réels. Quelle catégorie d’hommes possède plus de dévouements que le socialisme antiparlementaire ? On n’agit pas en vue d’utiliser le syndicat pour parvenir à une situation électorale, comme c’est trop souvent à craindre pour beaucoup de militants socialistes. Et par-là les anarchistes sont dans une meilleure posture que les socialistes vis-à-vis de la classe ouvrière, tellement dupée qu’elle est obligée à chaque instant de se demander : « Est-ce que c’en est encore un qui veut avoir ma voix ? »

    Et c’est ce qui explique la part qu’ont prise les anarchistes à la gestion tant des syndicats que des organismes centraux, part qui a d’ailleurs été singulièrement exagérée par les adversaires afin d’effrayer les milieux mal renseignés ou indifférents.

    La meilleure arme de nos adversaires, c’est encore le mensonge, et c’est de cette arme surtout que se servent les socialistes du Nord pour combattre le syndicalisme dans leur région. Les syndicalistes sont des anarchistes, certains honteux, d’autres cyniques. Ils sont vendus au patronat ou tout prêts à se faire acheter. Ils préconisent le cambriolage comme moyen d’existence. À moitié fous, ils espèrent faire la révolution demain matin avec une demi-douzaine de bombes. Aujourd’hui, ils se contentent en fait de propagande de préconiser le sabotage, et le sabotage, pour les socialistes du Nord, ce n’est pas autre chose que du verre pilé dans le pain ou des histoires de ce genre, les mêmes à peu près que sortent les patrons.

    La probité dans la discussion n’est pas le fort des socialistes du Nord. Renard en a donné une nouvelle preuve au congrès, on peut dire deux preuves si l’on compte la façon dont il a dénaturé l’article de Kropotkine, paru ici même (8), pendant la semaine du congrès.

    Renard, au cours de son exposition des raisons qui parlent en faveur de la proposition du Textile, avait indiqué les résultats merveilleux atteints par l’organisation syndicale dans son département. Il avait brandi les 315 syndicats et les 76 000 syndiqués du Nord.

    Le camarade Merrheim, qui est lui aussi du Nord, où il a milité pendant de nombreuses années avant d’être appelé à occuper l’un des emplois de secrétaire de l’Union fédérale de la métallurgie, a sur sa région une opinion différente de celle de Renard. Il a montré au congrès ce que valaient les chiffres apportés par le secrétaire du Textile. Il en a fait éclater le mensonge. Renard avait eu l’assurance de compter dans son chiffre de syndicats les syndicats jaunes eux-mêmes. Ils représentaient, eux aussi, selon les lumières guesdistes, la classe ouvrière consciemment organisée pour la lutte et la suppression du patronat. Que l’on ne croie pas que ces syndicats jaunes ne forment dans le Nord qu’un chiffre infime. Il y en avait environ 110 sur les 315 signalés par Renard. Et que l’on ne suppose pas non plus que ces syndicats sont fictifs ou fantômes.

    Le Nord est la seule région où les syndicats jaunes possèdent une force réelle, la seule région où ces syndicats trouvent une atmosphère qui ne les étouffe pas. Merrheim en a cité plusieurs qui groupent à Roubaix, à Lille, à Armentières, plusieurs milliers d’adhérents. N’est-il pas naturel, d’ailleurs, que la jaunisse fleurisse dans un pays où le patron apparaît surtout un adversaire non pas à l’atelier, mais devant l’urne de vote ? Est-ce de quelque importance ce qui se passe à la fabrique, à l’usine, à l’atelier, quand on a le moyen infaillible, si commode et si peu dangereux, du bulletin de vote ? C’est presque secondaire et ne vaut pas la peine qu’on se démanche pour l’accomplir. Pas besoin de frotter le dos aux premiers qui sentent la trahison ; on peut supporter de travailler coude à coude avec eux.

    Renard avait triomphé non moins bruyamment des huit députés socialistes et des 100 000 voix socialistes de son département. Merrheim, sur ce point encore, fit pleuvoir quelques chiffres qui douchèrent durement la prétention guesdiste. Il signala la région de Valenciennes qui possède trois députés socialistes ayant obtenu plus de 25 000 voix dites socialistes. Cette région compte à peine un millier de syndiqués. 1 000 syndiqués sur 25 000 électeurs socialistes, c’est vraiment dérisoire dans une région industrielle comme celle de Valenciennes, qui comprend des centres importants de métallurgie, de verrerie, tout un bassin houiller populeux sur le dos duquel quelques familles comme les Casimir-Perier (9) ont réalisé de scandaleuses fortunes.

    Le Nord, présenté en exemple aux délégués des syndicats de France, sort bien décoré des discussions du congrès d’Amiens. Si la politique socialiste y a fleuri, il devient éclatant, par contre, que les organisations syndicales, qui seules représentent exactement le degré de conscience et de puissance d’une population ouvrière, y sont à l’état inexistant, et cela parce qu’on les a subordonnées à l’action parlementaire socialiste. Elles n’acquerront de la vigueur, là comme ailleurs, que si elles se constituent en dehors du parti socialiste, hors de sa tutelle, hors de sa mainmise. Cette démonstration constitue la critique la plus vigoureuse de la proposition du Textile. C’est ce que sentit tout le congrès.

    Aussi restait-il à Griffuelhes, après Merrheim, Broutchoux et Latapie, peu de choses à dire. La plupart des critiques à dresser contre l’idée de tout rapprochement et de tous rapports avec le parti socialiste avaient été exposées ou esquissées.

    Il s’attacha spécialement à montrer comment s’était constituée cette force qu’est présentement la Confédération. Relevant le désir exprimé par Keufer de voir s’établir l’unité morale de la classe ouvrière, il montra combien cette unité était illusoire. La lutte qui existe au sein des organisations ouvrières, d’où provient-elle ? N’est-elle pas due aux tentatives du pouvoir pour établir son influence dans les syndicats ouvriers et les dériver de leur voie ? L’unité morale est-elle possible avec les hommes qui acceptent de se faire les agents du gouvernement ? Tant qu’il y aura des hommes dans les syndicats pour faire cette besogne – et rien ne permet de prévoir le jour où il n’y en aura plus –, l’unité morale sera chose irréalisable. Remontant au ministère Millerand, Griffuelhes rappelait quelques faits significatifs de cette tentative du pouvoir pour engluer et corrompre les militants afin d’étouffer le révolutionnarisme naissant des syndicats. Il citait l’exemple des mineurs et des travailleurs municipaux. Est-ce les anarchistes qui ont divisé ces corporations et non pas le pouvoir qui avait voulu et avait réussi à émasculer ces organisations et à ne les faire agir que lorsqu’il n’y avait aucune gêne pour lui ?

    Ce sont ces tentatives du pouvoir qui ont amené les militants révolutionnaires de toutes écoles à se resserrer, à former un bloc qui a su répondre comme il convenait aux manœuvres ministérielles, comme il saura répondre demain aux manœuvres de M. Viviani, espérons-le.

    Le congrès s’est prononcé. Il a dit très haut qu’il entendait que les syndicats demeurent sur le terrain qui a déjà donné tant de preuves de sa fécondité. Les syndicats et la Confédération n’ont pas à se préoccuper, ils doivent ignorer les partis politiques, le parti socialiste comme les autres, parce que, si les organes économiques se rapprochaient du parti socialiste, ils se rapprocheraient du gouvernement, ils ouvriraient leurs portes aux préoccupations d’ordre gouvernemental.

    La formidable majorité (10) qui s’est rencontrée pour repousser la proposition du Textile ne comprenait pas que des syndicalistes révolutionnaires. Les syndicaux réformistes se sont ralliés à eux. Et cela prouve que c’en est fini, bien fini, de toute possibilité et de toute crainte de subordination du mouvement syndical au mouvement politique.

    Certain socialiste (11) a voulu remarquer qu’une prétendue scission s’était manifestée au cours du congrès entre les syndicalistes anarchistes et les syndicalistes tout court. Regardez de plus près, citoyen André, et vous verrez que de scission il n’y en a pas, il n’y en a jamais eu que dans votre imagination ou dans votre désir. L’inaction pourrait délier les efforts ; mais, tant qu’il y aura action dans le sens indiqué par le congrès d’Amiens après le congrès de Bourges, tant qu’il y aura lutte contre toutes les formes d’exploitation et d’oppression, tant matérielles que morales, c’est-à-dire contre le patronat et contre l’État, les syndicalistes anarchistes ne bouderont pas à la tâche. 

 ✊✊✊✊✊

    Nous espérions que le congrès, après avoir liquidé la question des rapports avec le parti socialiste, trouverait le temps d’examiner la question de l’antimilitarisme et de la grève générale. Mais il n’en faut cependant pas déduire que la propagande antimilitariste préoccupera moins les organisations syndicales.

    C’est l’expérience fournie par les grèves, les grèves violentes spécialement, qui a engagé les syndicats à faire la propagande éducative antimilitariste . Loin de se raréfier, les grèves ne font que suivre la progression remarquable de ces dernières années. La propagande des huit heures a remué des régions et des corporations qui sommeillaient. Ces régions et ces corporations n’étaient pas prêtes au 1er Mai dernier ; elles en étaient encore à se frotter les yeux. Ces yeux sont ouverts aujourd’hui.

    Et le gouvernement aura beau profiter de son hiver pour fabriquer quelques muselières, il n’empêchera pas le printemps prochain de nous apporter des grèves nombreuses. Ni le gouvernement de M. Clemenceau ni les groupements constitués par les patrons n’ont les moyens d’empêcher un orage d’éclater.

    La propagande antimilitariste, qui n’est et ne peut être qu’une part de la propagande syndicale générale, se trouvera stimulée par chacune de ces grèves mieux que par le vote dans un congrès de la plus énergiques des résolutions. Certes, les organisations et les hommes qui ne comprennent la grève que comme un procès, où des avocats ouvriers discutent et disputent contre les avocats patronaux les intérêts de leur clientèle, ne peuvent admettre que la propagande antimilitariste soit utile, indispensable, et qu’elle soit du ressort du syndicat.

    Mais ils peuvent s’apercevoir, Coupat comme Keufer, que, dans leurs corporations, la grève tend de moins en moins à être tranchée par la discussion.

    Les dernières grèves du Livre, à Paris, en particulier, ont permis aux typos de voir que la grève n’était pas une question de droit, mais une question de force. Les patrons n’accordent pas des améliorations parce qu’ils se laissent convaincre du bien-fondé de ces réclamations ; ils n’accordent et ils ne cèdent que contre la force, souvent contre la violence. Cette conception de la grève, qui est celle des syndicalistes révolutionnaires, pénètre les milieux syndicaux réformistes ; elle enfoncera avec elle l’antimilitarisme. Ne désespérons pas de voir, un jour, plus ou moins prochain, Keufer comparaître aux côtés d’Yvetot, pour crime d’antimilitarisme, devant la justice radicale de notre pays. Si ce n’est pas Keufer, ce seront d’autres typos.

    Il n’y eut pas discussion à Amiens sur l’antimilitarisme. Il n’y eut que des affirmations répondant à d’autres affirmations et créant une animation houleuse. Deux propositions antimilitaristes furent déposées, l’une par le camarade Gauthier, de Saint-Nazaire, confirmant, d’une façon terne, les décisions formelles de congrès confédéraux antérieurs, et l’autre du camarade Yvetot joignant l’antipatriotisme à l’antimilitarisme. La première proposition ne fut pas mise aux voix. Quant à la deuxième, tout en obtenant une majorité importante, elle ne rallia pas tous les partisans de l’antimilitarisme et de l’antipatriotisme. Elle avait, au point de vue syndicaliste, un grave défaut.

    Le syndicalisme s’est préoccupé jusqu’à maintenant de s’affirmer positivement, il a indiqué ses moyens et son but, ses méthodes particulières se sont vulgarisées à travers les travailleurs ; il s’est attaqué résolument à l’État et au patronat, mais, tenant compte des nécessités de son développement, il ne s’est pas attaqué à des adversaires d’ordre secondaire, aux théories qui prétendent dresser aussi contre le patronat et en préparer la disparition. Le syndicalisme a fait œuvre positive, il s’est montré tel qu’il est ; il n’a pas encore fait œuvre négative, il n’a pas encore dit avec assez de force ce qu’il n’est pas. Sa conduite rappelle un peu la réponse légendaire de Laplace à Napoléon devant qui il venait d’exposer ses théories sur la formation des mondes. Napoléon ayant dit au savant : « Mais vous n’avez pas dit un mot de Dieu », le savant lui aurait répondu : « C’est une hypothèse dont je n’ai pas besoin. »

    Le syndicalisme me paraît avoir agi à peu près de même à l’égard du socialisme parlementaire. Il ne l’a pas attaqué. Il a paru l’ignorer. Cette attitude a été caractérisée par la motion Griffuelhes sur la question des rapports avec le parti au congrès d’Amiens. À la déclaration de guerre des socialistes du Nord contre les syndicalistes, ceux-ci répondaient par un refus des hostilités et une proclamation de neutralité.

    Le défaut circonstanciel de la motion Yvetot sur l’antimilitarisme résidait dans son dernier paragraphe qui contenait une attaque directe contre le socialisme parlementaire : « C’est pourquoi le XVe congrès approuve et préconise toute action de propagande antimilitariste et antipatriotique, qui peut seule compromettre la situation des arrivés et des arrivistes de toutes classes et de toutes écoles politiques. »

    Cette motion sortait de la neutralité affirmée la veille. C’est pourquoi beaucoup de syndicalistes révolutionnaires, et des anarchistes, ne voulant pas se déjuger, s’abstinrent de voter (12).

    En d’autres circonstances, la motion Yvetot, qui groupait une forte majorité, en aurait rallié une imposante.

    Il est bien probable, par exemple que, si le congrès d’Amiens ne s’était tenu qu’après le congrès socialiste de Limoges (13), où une si considérable minorité socialiste – qui ne désarmera pas – a déclaré la guerre à la Confédération, il est bien probable que les résolutions prises auraient eu un cachet différent et que les organisations syndicales auraient relevé comme elles le méritent les prétentions bouffonnes du parti.

    Elles auraient renvoyé à son auteur le plan de travail établi pour les syndicats par le citoyen Guesde. Elles lui auraient demandé si le mot d’ordre doit partir de Limoges ou des travailleurs intéressés, et aussi l’auraient invité à se mêler de ce qui le regarde.

    Nous avons été résolument partisan de la neutralité syndicale qui avait l’avantage de permettre à la Confédération de grandir et de se développer. Mais nous ne sommes pas fâchés de voir le parti socialiste entrer en lutte ouverte avec le syndicalisme. Celui-ci sera contraint de répondre. En répondant, il complétera son action positive de construction par une action négative, il dira ce qu’il n’est pas, après avoir dit ce qu’il est. Ceux de nos camarades qui sont à la fois parlementaires et syndicalistes pourront gémir sur cette situation ; mais ils n’auront à s’en prendre qu’à leurs amis du parti qui l’auront créée.

    La propagande en faveur des huit heures va continuer. Il n’a pas été fixé de date pour un mouvement général. La lassitude ressentie par certaines corporations inhabituées à lutter en est la cause.

    Est-il très fâcheux que cette date n’ait pas été fixée ? Seule l’expérience nous renseignera.

    On sait, par le rapport de notre camarade Delesalle, dont les conclusions ont été publiées ici la semaine dernière (14), dans quelles conditions va se poursuivre la propagande pour les huit heures.

    Une commission des huit heures et de la grève générale sera nommée par le Comité confédéral pour s’occuper de l’organisation de la propagande sur ces points précis. D’ici quelque temps, quand cette propagande produira ses effets moraux, une conférence des délégués des fédérations et des Bourses du travail sera réunie et examinera de quelle façon s’engagera le mouvement.

    Que chacun se mette à l’action pour les huit heures ; que la propagande s’exerce avec une ardeur nouvelle ; que tous les militants, réconfortés par les résultats moraux donnés par le mouvement dernier, reprennent la besogne. Ils savent que, si l’on peut parfois ne pas récolter après avoir semé, il n’arrive jamais de récolter sans avoir semé. Nous voulons des résultats, préparons-les.
 

Pierre MONATTE
Les Temps nouveaux, numéros 26, 27 et 28
(27 octobre, 3 et 10 novembre 1906)
 
 
NOTES de Miguel Chueca à l’exception des 5 et 7, expressément suivies de l’indication « N.d.A. », qui sont de Pierre Monatte.
 
 

[1] Il y a une faute d’impression manifeste dans le texte paru dans Les Temps nouveaux : Monatte se réfère en réalité au député socialiste Albert Wilm (ou Willm), avocat et homme politique, ex-membre du POSR (le Parti ouvrier socialiste révolutionnaire, dit « allemaniste »), adhérent de la SFIO à partir de 1905 et élu député de la Seine aux élections législatives de 1906.

[2] À Amiens, ce militant guesdiste représentait aussi le syndicat des confiseurs-chocolatiers et celui des chapeliers de Lille, ainsi que la Bourse du travail de cette même ville.

[3] Il n’est sans doute pas inutile de rappeler que la CGT fut créée en 1895 à la suite d’une scission – après un vote majoritaire en faveur de la grève générale – au sein de la FNS (Fédération nationale des syndicats) entre les syndicalistes favorables à une pure action économique et les « politiques » de la faction guesdiste, fondateurs de la FNS. Quelques années plus tard, la FNS n’ayant pas survécu longtemps à la scission de 1894, les guesdistes intégreront peu à peu la CGT. Dans le cas de la Fédération du textile, ce sont les propres militants de la CGT qui insistèrent auprès des syndicats textiles du Nord pour qu’ils acceptent d’adhérer à la Confédération, ce qui fut fait au congrès du Textile tenu à Amiens en 1902 (voir là-dessus l’article de Desjardins, du syndicat des Tisseurs de Paris, reproduit in Le Syndicalisme révolutionnaire, la Charte d’Amiens et l’autonomie ouvrière, op. cit., pp. 170-173).

[4] La discussion sur la « flétrissure » du Réveil du Nord, un quotidien proche du député socialiste Basly, avait été lancée dès le matin du 8 octobre par Charles Dooghe, lequel avait déposé un « ordre du jour » protestant contre les « infamies » de ce journal, en rappelant que, non content de traiter les militants syndicalistes de « professionnels du cambriolage », il avait été l’instigateur du « fameux complot » dont le gouvernement s’était servi pour emprisonner quelques militants confédéraux (dont P. Monatte) à la veille du 1er mai. Le guesdiste A. Inghels était intervenu aussitôt pour affirmer qu’il y avait « à prendre et à laisser dans la tactique des libertaires au cours des événements du Nord » et pour relever que l’organe anarchiste de Tourcoing ne s’était pas privé, de son côté, de déverser des « tombereaux d’injures » contre les militants guesdistes. P. Monatte intervint dans l’après-midi pour faire passer des coupures de presse tirées du Réveil du Nord, contenant des « attaques grossières [...] non seulement contre les militants appartenant à la tendance libertaire, mais contre les socialistes ». Après avoir entendu P. Monatte et Émile Clévy, un autre représentant du Textile, le congrès décida de voter la proposition de C. Dooghe mais aussi l’amendement de É. Clévy, qui souhaitait la voir complétée par une condamnation de l’attitude de toute la presse bourgeoise.

[5] Ne s’en tenant pas là, depuis le congrès, le député Delory a daigné écrire (numéro du Travailleur du 13 octobre) que, « sous le prétexte que Le Réveil du Nord n’est pas l’ami des anarchistes, il a été expulsé du congrès » et qu’il n’a pas à « se prononcer sur les termes dont il [Le Réveil] s’est servi dans sa polémique avec les anarchistes ». Quelle sérénité et quel détachement des choses d’ici-bas ! Ils ne sont heureusement pas partagés par les organisations syndicales qui n’admettront pas demain matin que, lorsque leur organisme central, la CGT, enverra des délégués pour une propagande syndicale ou sur un lieu de grève, ces délégués puissent être impunément traités par un journal socialiste, de crapules, de bandits, de vendus, de propagandistes de l’incendie et du pillage à main armée et maintes autres épithètes. De grâce, citoyen Delory, prononcez-vous ; quittez vos hauteurs ; condescendez à marcher parmi les vulgaires mortels. (N.d.A.)

[6] P. Monatte fait allusion ici aux vifs débats du précédent congrès de la CGT, qui avait eu lieu en 1904 à Bourges (depuis le congrès de 1902, le congrès de l’unification entre la CGT et la Fédération des Bourses, la CGT ne tient de congrès qu’un an sur deux). Une bonne partie des débats avait porté sur la question de la représentation proportionnelle, un sujet qui opposait le courant réformiste de la confédération ouvrière, favorable à l’adoption du principe de la proportionnalité -– qui devait, selon ses porte-parole, assurer la prédominance des « modérés » au sein de la CGT –, au courant révolutionnaire dominant la confédération ouvrière depuis le congrès de 1901.

[7] Nous n’insistons pas aujourd’hui sur cette question des conférences internationales, ne pouvant et ne songeant pas à faire un compte rendu détaillé du congrès d’Amiens. Mais cette question se reposera fort prochainement : alors nous y reviendrons. (N.d.A.)

[8] Il s’agit de l’article « Syndicalisme et parlementarisme », paru dans le numéro des Temps nouveaux daté du 13 octobre 1906, soit le jour même de la clôture du congrès d’Amiens. Monatte n’exagère pas le moins du monde quand il accuse Renard d’avoir « dénaturé » le sens du texte de Kropotkine. En effet, dans une intervention faite le matin du 13 octobre, le chef guesdiste prétend, contre toute vérité, que dans son article des Temps nouveaux, Kropotkine aurait préconisé, lui aussi, « l’entente que nous demandons », ce qui était un travestissement total, bien entendu, du sens de l’article en question.

[9] Le nom de cette famille richissime, propriétaire des mines d’Anzin, provient d’un descendant de la famille Perier, originaire du Dauphiné, Casimir Perier (1877-1932), banquier, député, ministre de l’Intérieur puis président du Conseil sous le règne de Louis-Philippe, responsable de la répression du mouvement des Canuts de novembre 1931. Un de ses petits-fils, Jean Casimir-Perier, sera président du Conseil de décembre 1893 à mai 1894 (et, comme tel, à l’origine des « lois scélérates » de décembre 93), puis président de la République, en remplacement de Sadi Carnot, de juin 1894 à janvier 1895. La gauche le baptisera du surnom de « Casimir d’Anzin ».

[10] L’ordre du jour présenté par Griffuelhes recueillit 834 suffrages favorables sur un total de 843, contre 8 défavorables et un bulletin blanc. Les réformistes, groupés autour de Keufer et Coupat, se rallièrent au dernier moment à la motion du Comité confédéral, ce qui allait d’ailleurs amener Pouget – visiblement irrité de cette volte-face de dernière minute – à écrire, quelques semaines plus tard, que « si les réformistes ont eu l’arrière-pensée d’atténuer la portée révolutionnaire de cette motion en s’y associant, ils ont fait un faux calcul » (Le Congrès syndicaliste d’Amiens, Éd. CNT-RP, 2006, p. 118), une déclaration qui prouve que, à rebours de ce qu’on dit trop souvent, le courant majoritaire n’avait pas cherché un compromis quelconque avec la tendance réformiste. Quant aux guesdistes, contrairement à ce qu’on lit ici ou là, ils ne participèrent pas au vote, ce qui explique en grande partie le nombre assez élevé des abstentions lors du vote de la motion Griffuelhes : en effet, si le total des mandats qui s’exprimèrent sur le sujet s’élève à 843, il y en eut plus de 900 sur le rapport de la section des Fédérations (939), sur celle des Bourses du travail (938) ou sur La Voix du Peuple (921). Même la motion antimilitariste de G. Yvetot, avec 872 voix exprimées, rassembla plus de votants que la résolution de Griffuelhes. Dans tous ces cas, les syndicats sous influence guesdiste votèrent évidemment contre les motions présentées par le courant majoritaire.

[11] Monatte fait référence au guesdiste Pierre-Marius André, celui qu’il nomme juste après le « citoyen André », auteur d’un compte rendu des travaux du congrès d’Amiens dans l’hebdomadaire de la fraction guesdiste (« Le syndicalisme », Le Socialiste, 23 octobre-3 novembre 1906).

[12] Une partie d’entre eux (dont des militants aussi influents que Merrheim, Luquet, Latapie, Galantus et Pataud) devaient du reste rédiger une communication pour regretter que la proposition de Gauthier n’eût pas été mise aux voix, « ce qui aurait permis à l’immense majorité du Congrès de se prononcer pour ». Ils y précisaient aussi que, bien qu’ayant voté contre la résolution présentée par Yvetot ou s’étant abstenus, ils considéraient que « l’antimilitarisme fait partie intégrante de l’action et de la propagande syndicales et que, ne possédant rien dans la Patrie, misérables et exploités dans toutes, conduits à la boucherie, au nom des Patries elles-mêmes, les travailleurs de tous pays ne sauraient se sacrifier pour elles ». Cette communication, confirmée par le témoignage de P. Monatte, devrait amener à relativiser quelque peu l’affirmation faite par Jacques Toublet dans sa préface à La CGT de Pouget (Éd. CNT-RP, 1997, p. 31, note 30), selon laquelle les résultats du vote de la motion Yvetot donneraient « une indication de l’influence syndicaliste révolutionnaire réelle » au sein de la CGT de 1906.

[13] La SFIO tint son troisième congrès dans la capitale du Limousin début novembre, à peine deux semaines après la fin du congrès syndicaliste d’Amiens. Les guesdistes le mirent à profit pour continuer leur petite guerre particulière contre le courant dominant de la confédération ouvrière.

[14] En effet, dans son numéro daté du 3 novembre, l’hebdomadaire de J. Grave avait publié un extrait du long rapport présenté par P. Delesalle à la séance du 13 octobre au soir, portant sur la journée de huit heures, la réduction des heures de travail et le repos hebdomadaire. Dans ce rapport, P. Delesalle annonçait la création au sein du Comité confédéral d’une commission de propagande des huit heures et de la grève générale. Usant d’une comparaison ad hoc, le rapporteur y formulait le plan de propagande suivant : « 1° Grève générale par corporations que nous assimilerions aux manœuvres de garnison ; 2° Cessation du travail partout et à date fixe, qui seraient nos “grandes manœuvres” ; 3° Arrêt général et complet mettant le prolétariat en guerre ouverte avec la société capitaliste ; 4° Grève générale. - Révolution. » C’est cette partie qui fut reprise dans la publication dont P. Delesalle avait été longtemps un collaborateur assidu.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.