de l'UTILITÉ des REBELLES - Manuel GONZALEZ PRADA (Anarquia, 1936)

 


Manuel González Prada, né à Lima le et mort dans la même ville le , était un philosophe et poète péruvien, auteur d'essais, théoricien radical puis idéologue anarchiste. (wikipédia)

Le texte qui suit est issu du recueil posthume "Anarquía", édité en 1936 à Santiago du Chili, dont on peut voir l'image de la couverture insérée dans l'illustration ci-dessus.

 

 

 de l'UTILITÉ des REBELLES

 Manuel González Prada

    Quand la majorité, dit Reybaud(*), s'engourdit dans la routine quotidienne, incapable de contribuer à la marche progressive des siècles, des hommes organisés se lèvent pour se rebeller contre les idées reçues et susciter des tempêtes, tant dans la sphère de la pensée que celle des faits. D'où l'agitation incessante, le mouvement qui, s'il est aujourd'hui retardé dans un domaine, s'accélère demain dans d'autres, n'épargnant aucun point du champ de la pensée, embrassant tous les besoins de l'homme, fécondant la vie, révolutionnant le monde. L'existence de l'Humanité ne se réduit donc pas à tourner désespérément sur elle-même, ni à s'agiter sans espoir ni objet autour d'un cercle fatal : elle gravit une échelle énigmatique et se rapproche chaque jour d'un sommet de sérénité et de lumière.

    La résistance des rebelles aux conceptions dominantes est un facteur très puissant dans les transformations successives. Mais même si la révolte ne suscitait qu'une certaine méfiance à l'égard du présent, et le désir de s'isoler pour le juger plus impartialement, elle ferait le plus grand bien à ce désir et à cette méfiance : elle réveillerait les somnolents, secouerait les paresseux. Nous continuons, avec tant de bonne volonté, à nous soumettre aux habitudes les plus viles et les plus désastreuses ! Nous nous abandonnons, avec tant de paresse, au courant de la routine, quelles que soient les protestations de notre cœur et les révoltes de notre conscience.

    En condamnant ce qui existe et en prônant la subversion totale du régime économique établi au cours des siècles, les réformateurs radicaux posent en termes clairs le problème de l'organisation sociale, circonscrivent le champ de la lutte et brisent les lignes d'un point de vue conventionnel. Rien de tel que les cris d'alarme ; si exagérés qu'ils puissent paraître, ils extirpent l'humanité de sa léthargie, la ramènent au souvenir de sa mission, l'obligent à poursuivre sa marche séculaire.

    Certes, la majorité résiste à l'appel subversif, ne fait pas grand cas des mots de déconstruction absolue, se méfie des systèmes prônant une rénovation sociale brutale ; mais en revanche, elle se dispute avec les réformateurs, les combat, et de la controverse elle-même naît le doute, un doute qui se traduit rapidement par la nécessité ou l'opportunité de certaines réformes. Grâce à l'action des rebelles, il y a donc une infiltration incessante d'éléments dynamiques dans un monde aux accents d'inertie, un amalgame de témérité et de prudence, d'immobilité et de mouvement, ce qui est la vie et l'essence des sociétés.

 

 

 * : Louis REYBAUD, né à Marseille le 15 août 1799 et mort à Paris le 28 octobre 1879, était un économiste, journaliste, homme de lettres et homme politique français. (wikipédia)



 

 

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