Quand les grévistes ne dirigent pas leur grève
Les meilleurs militants sont sortis de ce conflit profondément
dégoûtés. Certes ce n’est pas la première fois qu’ils se trouvent
battus. La plupart ont connu des défaites où la rentrée devait
s’effectuer parce que, économiquement, la situation n’était plus
tenable, mais où la combativité n’était pas amoindrie chez ceux qui
rentraient. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Ils sont bel et bien roulés
― les chants de victoire de l’Humanité ne trompent personne ― et ils se
rendent compte que dans cette grève tout a été falsifié et maquillé.
Avant d’entrer dans les détails de la grève, ce qui est à la fois
nécessaire et difficile, étant donné la complication du conflit, il faut
rappeler les conditions de la rentrée.
L’esprit de juin 36 est battu par l’esprit «défense nationale».
Les salaires sont augmentés d’une façon dérisoire : 0,75 de l’heure,
soit environ 7 %, alors que les revendications ouvrières exprimées en
mars parlaient de 18 %, suivant en cela la hausse du coût de la vie...
Pour la métallurgie non nationalisée et non contrôlée la victoire patronale est plus nette encore.
Voici ce que disait la Journée Industrielle du 15 avril à propos des
différents secteurs de la métallurgie : "S’agissant d’entreprises
nationalisées, l’État est à la fois patron et client, et nous venons de
voir apparaître l’État arbitre réglant les relations entre l’État patron
et l’État client, avec d’autant plus d’aisance que l’opération se fait
aux frais des contribuables anonymes et silencieux.
On n’oubliera pas, espérons-le, qu’il en va autrement pour les
industries dont la trésorerie ne se confond pas avec celle du budget et
dont l’État n’a pas rempli pour longtemps les carnets de commandes."
L’arbitrage de Giraud [1]
suit ces indications à la lettre, il n’accorde aucune augmentation et
se borne à conseiller les 7 % au cas où les 45 heures seraient
appliquées dans les ateliers travaillant pour l’industrie de guerre.
Les ouvriers de la métallurgie sont sûrement pas très forts dans les
calculs de statistique, mais il est difficile de les tromper dans la
pratique et il est certain qu’en comparaison avec novembre 37, date du
dernier rajustement, un même nombre de francs représente une quantité de
marchandises considérablement réduite. Ce sont là des mathématiques
prolétariennes indiscutables.
En dehors de l’échec concernant la question des salaires, principal
motif de la grève, il reste le désastreux retour à la semaine de 45
heures, c’est-à-dire, pour les usines utilisant les trois équipes, la
perte de la journée du samedi. Même pas de compensation du point de vue
pécunier, les 5 heures de plus étant payées au tarif normal.
Le marchandage fut présenté aux grévistes très simplement : "Acceptez
les 45 heures, vous aurez les 15 sous d’augmentation". Vrai marché de
dupes par lequel tombe une des plus belles conquêtes ouvrières et
précisément celle qui paraissait la plus solidement acquise.
L’esprit de juin 36 a été battu par l’esprit "défense nationale"
grâce à tous ceux qui de près ou de loin ont participé à la vague
d’Union sacrée, grâce, en premier lieu, au parti communiste français.
QUI A DÉCLENCHÉ LE MOUVEMENT ?
Dès le lendemain de la grève chez Citroën, l’Humanité et Ce Soir,
organes officiels du P.C.F. mettaient les travailleurs en garde contre
les excitateurs, les éléments troubles et les provocateurs qui
poussaient à la grève. Dans le communiqué des Métaux paru dans
l’Humanité il était nommément question des trotskystes et des amicales
socialistes, alors que dans le texte envoyé au Populaire ces précisions
manquaient [2].
En réalité, ni les socialistes, ni les trotskystes ne participèrent
au déclenchement du mouvement et la mesure dans laquelle ces fractions
politiques ouvrières contribuèrent à l’élargissement du conflit est bien
faible.
Les amicales socialistes sont généralement timides dans leur
propagande ; elles cherchent surtout à combattre l’influence stalinienne
par un travail d’éducation : causeries, vente de journaux, diffusion de
tracts. Les questions de salaire ou de revendications corporatives sont
rarement traitées. Il faut d’ailleurs remarquer que les amicales furent
pendant longtemps placées directement sous la férule des dirigeants
réformistes. Le militant principal, Desphilippon, manifesta sa
désapprobation de la grève par un communiqué qui constituait un
véritable appel à la jaunisse, que la Fédération de la Seine désapprouva
énergiquement. La partie révolutionnaire de la S.F.I.O. déploie son
activité dans les usines bien plus au sein de la minorité syndicaliste,
en compagnie d’autres éléments minoritaires, que comme fraction du
parti.
Dans la plupart des usines, les comités syndicaux sont de tendance
communiste officielle et ne comprennent que peu de socialistes, qui ne
sont le plus souvent que des figurants ou des otages destinés à
"prouver" que l’esprit démocratique dans les métaux n’est pas mort...
Quant aux trotskystes, leur petit nombre écarte l’idée d’une forte
influence, surtout si l’on sait que l’élément ouvrier ne domine pas au
P.O.I. Bien qu’ayant mené une propagande soutenue auprès des ouvriers de
quelques grandes boîtes, le plus souvent de l’extérieur, leur influence
est quasi-nulle, et leurs cellules d’entreprise doivent pouvoir se
compter sur les doigts d’une seule main. Cette faiblesse s’explique
facilement du reste. Les "purs" ont déclenché une telle campagne de
mensonge et de haine dans les entreprises que tout ouvrier classé comme
"trotskyste" est discrédité aux yeux de ses compagnons. Il faut ajouter à
cela la maladresse de la propagande des partisans de la IVe qui ne
peuvent s’empêcher de parler un langage plus ou moins
bolchevik-léniniste, truffé de rappels historiques et absolument
incompréhensible pour la majeure partie des travailleurs. Bien des mots
d’ordre qui auraient pu avoir un certain succès s’ils avaient été
exprimés en un langage courant, sont passés inaperçus parce que noyés
dans un fatras de formules et associés à des explications où Chang Kaï
Chek ou Boukharine surgissaient comme des cheveux sur la soupe. Dans ce
domaine, les trotskystes auraient beaucoup à apprendre des syndicalistes
révolutionnaires dont ils se moquent si aisément.
Pour ce qui est des anarchistes, après avoir bataillé pendant plus
d’un an pour créer des noyaux de militants au sein des usines ― travail
qui aboutit à des résultats appréciables puisqu’une trentaine de groupes
fonctionnaient dans les plus grosses boîtes ― ils abandonnèrent cette
forme d’activité, après le congrès de l’Union anarchiste, pour se
consacrer entièrement au travail minoritaire au sein de la C.G.T.
L’opposition réelle ― bien que faible ― qui existe chez les métallos
parisiens est groupée dans les Cercles syndicalistes lutte de classe qui
se sont implantés dans la majorité des usines. Elle groupe des anciens
communistes, des anarchistes, des socialistes de gauche, certains
oppositionnels, des syndicalistes, unis sur une plate-forme limitée à
l’action de redressement syndical.
Cette minorité a joué un rôle indiscutable dans le dernier mouvement.
Plus dans sa préparation peut-être que dans son développement. Poussant
à la roue dans toutes les assemblées, travaillant sans cesse les
compagnons d’atelier, les opposants ont peu à peu créé l’atmosphère de
bataille. Dans l’élargissement du conflit, ils ont constitué également
un facteur important. Mais une fois la grève déclenchée, l’appareil
communiste les a écartés de la direction du mouvement. La grande
confusion des mots d’ordre, le manque de démocratie dans la conduite du
conflit ont singulièrement limité leur action.
En réalité, c’est donc bel et bien le syndicat qui a lancé le mot
d’ordre de grève ; chez Citroën, bastion communiste, en premier lieu, et
les autres ne débrayeront que quand le centre le voudra bien. Cela ne
signifie pas que la direction des Métaux ne fut pas influencée par
l’agitation à la base. Cela signifie que, pour partir en grève, l’accord
des communistes est indispensable. Comme pour la rentrée, du reste.
L’appareil est intact, il fonctionne bien. Ça et là, des erreurs de
manœuvre peuvent se produire ; dans l’ensemble, ces erreurs sont
négligeables. Et il ne faut pas oublier que les "purs" possèdent une
base de militants dévoués, courageux, qui, s’ils n’ont rien dans le
crâne, ont quelque chose comme estomac.
Contre eux il ne suffit pas d’avoir raison, il faut encore s’imposer
et les vaincre s’il est impossible de les convaincre. Il ne sera
possible de les battre qu’en leur opposant, en plus de mots d’ordre
nettement ouvriers des équipes de militants qui pourront rivaliser de
dévouement et de travail ingrat avec ceux qui sont encore l’oreille de
la majorité des travailleurs.
POURQUOI LA GRÈVE NE FUT PAS UNANIME
A première vue, il paraît étonnant que la grève n’aie pas été
immédiatement généralisée, étant donné que le conflit intéressait
l’ensemble de la corporation. En examinant le déroulement du mouvement
et ses divers rebondissements, il semble bien que la direction syndicale
ait voulu tâter le terrain en lançant dans la bataille deux grosses
maisons : Citroën, pour l’automobile, et Gnome, pour l’aviation, afin de
faire pression sur le gouvernement Blum et sur le patronat sans,
cependant, entraver la Défense nationale.
L’intransigeance patronale, d’une part, l’effervescence dans les
usines, d’autre part, l’obligèrent par la suite à élargir la grève qui
menaçait d’échapper à son contrôle.
La division régna dès le départ. Les revendications étaient peu
claires, sujettes à variations, suivant les boîtes et le genre de
travail. Par exemple, les revendications concernant les salaires
n’étaient pas les mêmes dans les différentes usines de chez Citroën.
Tout au long des pourparlers, le patronat fit preuve d’un sens de classe
élevé en refusant d’accepter des accords différents suivant le genre de
fabrication, pour mieux aider les industriels ne travaillant pas pour
la guerre ; De son côté, la direction ouvrière cherchait, au contraire, à
profiter de ce que l’État était à la fois patron et client, pour exiger
de lui qu’il fasse pression sur le patronat, mais elle permettait la
dispersion des efforts des métallos en les faisant rentrer suivant les
promesses d’arbitrages, après les avoir fait débrayer les uns après les
autres.
Nulle part, les mots d’ordre ouvriers n’arrivèrent à s’unifier ;
nulle part, il n’y eut une liste de revendications claires, permettant
une agitation dans l’opinion publique.
Les conséquences se firent sentir surtout dans les petites
entreprises ne travaillant pas pour la guerre exclusivement. Ainsi, à
l’Alsacienne (câbles électriques à Clichy), 443 ouvriers votèrent contre
la grève et 80 seulement pour, 7 s’abstenant. Ce vote eut lieu après
une agitation menée par les professionnels. A Westinghouse (Sevran), le
vote donna la même proportion ; résultats identiques dans diverses
boîtes de Courbevoie.
Le trouble augmenta dans de nombreuses usines après que le brusque démarrage se fut effectué, succédant au freinage du début.
Un autre élément de division vint s’ajouter par la lutte entre les
Métaux stalinisés et la Fédération des Techniciens. Cette dernière, non
conformiste, était résolument adversaire des 45 heures, et les camarades
placés à sa tête sont l’objet d’attaques incessantes de la part des
dirigeants communistes de la fédération ouvrière, qui cherchent à
dissoudre l’organisation des techniciens en les faisant rentrer dans les
syndicats ouvriers. Dès le début de la grève, il y eut un certain
flottement parmi les techniciens, flottement aggravé par la position
imprécise de leur fédération soumise aux pressions les plus diverses.
De là les votes contre la grève dont la presse bourgeoise fit grand
état. Par la suite, les "collaborateurs" redressèrent la situation et
parvinrent, in extremis, à sauvegarder leurs intérêts. A remarquer que
les techniciens déjà groupés au sein des métaux, c’est-à-dire la
fraction communiste, abandonnèrent la grève les premiers, dans une série
d’usines.
LA CONDUITE LOCALE DES GRÈVES
Le conflit a permis de vérifier l’importance et le bon fonctionnement
des services du P.C. Orchestrer une partition où le rythme et les
thèmes changent à tout bout de champ n’est pas chose facile. Mais les
hommes du P.C. ont subi un tel entraînement que toutes les volte-faces
leur sont permises. Certes, il y eut de durs moments pour les pauvres
bougres, secrétaires de section qui devaient opérer un grand tournant en
24, ou parfois 12 heures. Mais épaulés par la presse quotidienne,
soutenus par les ténors des centres, utilisant les moyens les plus vils
et les plus bas, ils triomphèrent. Là, comme chez Lioré-Olivier
(Clichy), où ils devaient lutter contre une opposition ferme et
nombreuse, ils employèrent les petits moyens misérables : le vote au
moment de la soupe, devant les ouvriers qui attendaient la sortie avec
impatience, le mensonge des usines voisines reprenant le travail ; ils
furent aidés en cela par la fatigue générale des ouvriers et la crainte
chez les minoritaires de se retrouver à la tête d’un conflit saboté et
désorienté.
En règle générale, il n’y eut pas de comité de grève désigné. Ce
furent les C.E. qui s’imposèrent pour diriger la grève. Les assemblées
générales furent inexistantes ou rares. Le micro fut monopolisé par les
caïds du centre. Les minoritaires ne purent donc s’exprimer que dans les
réunions de secteur ou d’équipe. Là où ils purent accidentellement
prendre la parole et s’exprimer devant les grévistes, ils remportèrent
un succès net. Chez Gnome et Rhône, un minoritaire dressa l’assemblée
contre les 45 heures. Et il fallut deux jours de travail en sens opposé
pour les faire accepter secteur par secteur. Détail curieux pour la
psychologie ouvrière : dans les coins où les minoritaires bataillaient
dur, les "maillots jaunes" vinrent peser de tout leur poids et
enlevaient de fortes majorités. Dans un atelier où les minoritaires ne
s’étaient pas manifestés, la cellule envoya un orateur quelconque et...
la thèse des 45 heures fut proprement battue.
À l’Alsthom (Lecourbe), où les communistes sont minoritaires, la
rentrée ne fut décidée que devant l’attitude générale des autres usines.
Chez Gardy, les staliniens utilisèrent des arguments tellement
démagogiques pour le déclenchement d’une grève de solidarité que les
ouvriers flottèrent longtemps et, finalement, continuèrent à travailler.
Chez Lavalette (Saint-Ouen) la rentrée s’effectua à contrecœur, et une
énergique protestation blâmant la direction fut votée.
À remarquer que ni la Fédération, ni l’Union des Métaux n’acceptèrent
de porter le poids du conflit et n’allèrent jamais plus loin que la
solidarité morale.
Mais pour la rentrée, l’Union prit "ses responsabilités" en ce sens
qu’elle exigea que ses membres s’inclinent devant les accords
provisoires tripartites. Chez Bendix (Saint-Ouen), la tactique changea
du jour au lendemain : aux exhortations à la grève à outrance succéda un
appel à la sortie, les flics devant arriver !
PAS D’ARGENT !
Financièrement, la grève fut pauvre. Les caisses syndicales étaient
vides. Il faudra revenir un jour sur cette question et se demander si le
Syndicat est devenu un centre de loisirs, qui achète des châteaux, ou
s’il est reste un organe de lutte qui doit se préparer des fonds de
résistance.
Les grévistes touchèrent royalement 20 fr. pour la durée de la grève.
Comme la plupart ne s’attendaient pas à ce que le conflit dure aussi
longtemps, les grognements contre la gestion financière se firent
nombreux, les statuts prévoyant 5 francs de secours par jour de grève.
La C.G.T. se fendit royalement de 25 000 francs au moment où il y avait
environ 50.000 grévistes. L’effort de solidarité ne se manifesta pas
avec l’intensité habituelle. Du reste, il faut bien avouer que la
sympathie des autres corporations fut tiède ; quand l’esprit de lutte
disparaît avec l’espoir de vaincre, les jalousies surgissent.
LES MANŒUVRES PATRONALES
La pression patronale s’exerça tout au long de la grève. Les lettres
individuelles furent régulièrement envoyées. Elles ne cherchaient pas
tellement à détacher immédiatement des groupes pouvant imposer la
cessation du conflit, mais seulement à créer un climat favorable à la
désagrégation. Dans différents endroits, des comités indépendants se
formèrent, mais leurs meetings furent déserts. Ainsi une réunion
convoquée à la Mutualité par la doriotiste "Liberté" ne réunit qu’une
centaine d’auditeurs appartenant à des formations corporatives ou
syndicales différentes et d’où rien ne sortit, sinon des résolutions
d’un servilisme écœurant.
L’intransigeance des industriels se manifesta jusque dans les
détails. Chez Gnome et Rhône, fidèles au mot d’ordre syndical, les
ouvriers se rendirent en masse devant les portes, le mardi, jour de la
rentrée. La direction leur fit part de sa décision de ne rouvrir les
portes que le jeudi. Or, cette maison n’avait aucune raison de retarder
la rentrée, les grévistes ayant préparé le travail avant la sortie.
Néanmoins, les dirigeants locaux firent évacuer, et l’après-midi, un
acompte fut payé, la paye étant assurée par quelques employés, obligeant
les grévistes à attendre de longues heures.
LES DESSOUS
Dans le Populaire du 17 au 22 avril, Vincent Auriol a publié
une longue étude sur les grèves. Il s’est surtout attaché à laver son
ami Blum des accusations lancées contre lui, et pour ce faire, proteste
énergiquement des bonnes intentions de celui-ci, aussi bien envers les
ouvriers qu’en ce qui concerne la défense nationale.
Sans nous attarder au côté politico-parlementaire de l’affaire,
retenons de ces articles que les patrons, appuyés par le Sénat,
rejetèrent les propositions Jacomet sous Blum et acceptèrent ces mêmes
propositions sous Daladier. Retenons également que les "100 %" furent
beaucoup plus sages pour Daladier que pour Blum, et prêtèrent
indirectement la main aux sénateurs contre le gouvernement à direction
"socialiste". Remarquons surtout que le syndicalisme qui faisait
trembler la bourgeoisie en 1936, fait aujourd’hui antichambre dans les
ministères et recherche les meilleures méthodes de participation à la
défense nationale. Les deux ans de colonisation, les dizaines d’années
de réformisme portent leurs fruits.
Quel fut le prix de la grève ? Quels furent les termes du
marchandage ? Certaines garanties de la part de Daladier au sujet du
pacte franco-russe ? Des promesses pour l’Espagne ? Des garanties pour
que le néo-pacte de Stresa ne se transforme en nouveau pacte à quatre au
grand dommage de l’U.R.S.S.? Le renforcement des mesures contre les
étrangers blancs ou non orthodoxes ?
La diplomatie secrète qui a cours dans le mouvement ouvrier ne nous
permet pas de le savoir à coup sûr. Encore une fois, ce qui nous
importe, c’est de savoir que la grève n’appartint pas aux grévistes et
que leur mouvement fut négocié par des éléments syndicalement
irresponsables.
Pour montrer à quel degré le patriotisme est devenu de mode chez les
"purs", il est bon de dire qu’une proposition du camarade Lemire,
tendant à ajouter à une résolution, sur la paix un paragraphe saluant
les métallurgistes antifascistes allemands en lutte contre Hitler, fut
rejetée par tous les "antifascistes" bellicistes de la III°
Internationale.
LES RÉPERCUSSIONS
Il a été question, au début de ce papier, du désarroi qui règne actuellement chez les métallos.
Dans tous les milieux, dans toutes les tendances, le découragement sévit.
Il faut s’attendre à une baisse importante des effectifs. Certains
parlent de 20 %. Ces défections comprendront non seulement les ouvriers
hésitants et sans tradition syndicale, qui cherchent surtout à conserver
un emploi somme toute stable et relativement bien rémunéré, mais aussi
de bons éléments syndicalistes qui ne peuvent plus respirer l’atmosphère
d’un syndicalisme de caserne.
Les "professionnels" du P.S.F. et les divers comités patronaux, sans
devenir des organisations numériquement importantes, ont cependant gagné
en influence, en spéculant sur la fatigue et surtout sur
l’anticommunisme, sans contre-partie révolutionnaire. Ils mordent
principalement sur les employés et techniciens.
La C.G.T.S.R., qui possède quelques adhérents dans plusieurs usines,
ne joua pas un rôle actif, sauf en certaines occasions précises comme
pour la chasse aux jaunes chez Citroën.. Boycottée sévèrement par les
dirigeants locaux, desservie par ses fautes sectaires, elle recueillera
cependant un certain nombre de militants dégoûtés, mais pas dans une
proportion telle que ses sections puissent prendre figure de syndicats.
Quant aux minoritaires, leur influence a grandi au cours du
mouvement, grâce à leur combativité et à leurs positions nettes. Mais
eux-mêmes en arrivent à douter du redressement régulier et patient de la
Fédération des Métaux où la démocratie ouvrière est bafouée. La lutte
ne se mène pas à armes égales. Des facteurs extérieurs, incontrôlables,
pèsent sur la vie syndicale. L’adversaire du syndicalisme se trouve être
le syndicat lui-même, le syndicat bureaucratisé, intégré à l’appareil,
instrument aveugle aux mains d’un comité supérieur inaccessible.
Les syndicalistes révolutionnaires sentent combien la plupart des
syndicats sont devenus des pions sur l’échiquier politique, à côté
d’autres pièces comme Ce soir, à côté d’organisations comme le Parti
Camille-Pelletan, comme les radicaux stalinisés, à côté d’entreprises
comme France Navigation, ou encore comme le Guépéou français.
La question se pose brutalement. Pour lutter dans les syndicats, il
faut qu’il y ait encore des syndicats, c’est-à-dire des organisations de
travailleurs se régissant par les décisions des seuls adhérents. Si les
syndicats existants répondent à cette définition, la lutte des
minoritaires peut se poursuivre, le libre jeu de la démocratie peut les
faire triompher. Sinon, bonne ou mauvaise, l’idée de la scission fera
son chemin...
RIDEL
Notes