ANALYSE de TEXTE de la RÉSOLUTION d'AMIENS (1906)




 

💮Premier Paragraphe

Phrase 1 :
"Le Congrès confédéral d'Amiens confirme l'article 2
(1) constitutif de la CGT."

  • Cette phrase établit le cadre institutionnel du document : il s'agit d'une confirmation explicite des principes fondamentaux sur lesquels repose la Confédération Générale du Travail (C.G.T.). L'article 2 constitutif est un pilier idéologique qui définit la nature et les objectifs de l'organisation syndicale.
  • En confirmant cet article, le Congrès affirme que les principes initiaux ne sont pas négociables ou modifiables. Cela renforce la continuité entre les origines du mouvement syndicaliste révolutionnaire et son développement ultérieur.

Phrase 2 :
"La CGT groupe, en dehors de toute école politique, tous les travailleurs conscients
(2) de la lutte à mener pour la disparition du salariat et du patronat."

  • Cette phrase exprime l'universalité du projet syndical : la C.G.T. se présente comme une organisation ouverte à tous les travailleurs, indépendamment de leurs opinions politiques ou philosophiques.
  • L'idée de "disparition du salariat et du patronat" met en avant un objectif radical : transformer profondément les relations sociales de production pour abolir le système capitaliste basé sur l'exploitation des salariés par les patrons.
  • La mention des "travailleurs conscients" souligne l'importance de la conscience de classe dans l'action syndicale. Ce terme implique que les membres de la C.G.T. doivent non seulement être des travailleurs, mais aussi comprendre les enjeux de la lutte des classes.

💮Deuxième Paragraphe

Phrase 1 :
"Le Congrès considère que cette déclaration est une reconnaissance de la lutte de classe, qui oppose sur le terrain économique, les travailleurs en révolte
(3) contre toutes les formes d'exploitation et d'oppression(4), tant matérielles que morales, mises en œuvre par la classe capitaliste contre la classe ouvrière."

  • Cette phrase formalise la théorie de la lutte des classes comme principe central du syndicalisme révolutionnaire. Elle reprend des concepts marxistes (lutte des classes) tout en les adaptant au contexte spécifique des années 1900.
  • L'accent mis sur le "terrain économique" reflète l'idée que la transformation sociale doit émaner directement des rapports économiques, plutôt que des institutions politiques ou législatives.
  • Les "formes d'exploitation et d'oppression" incluent à la fois des aspects matériels (salaires bas, conditions de travail précaires) et moraux (aliénation, perte de dignité). Cette double dimension montre que la lutte syndicale vise non seulement à améliorer les conditions économiques, mais aussi à restaurer la dignité humaine.

💮Troisième Paragraphe

Phrase 1 :
"Le Congrès précise par les points suivants, cette affirmation théorique."

  • Cette phrase annonce une clarification plus détaillée des principes généraux déjà exposés. Elle introduit une distinction importante entre deux types d'actions syndicales : l'action quotidienne et l'action révolutionnaire.

Sous-section 1 : L'action quotidienne

Phrase 2 :
"Dans l'œuvre revendicative quotidienne, le syndicat poursuit la coordination des efforts ouvriers, l'accroissement du mieux-être des travailleurs par la réalisation d'améliorations immédiates, telles que la diminution des heures de travail, l'augmentation des salaires, etc."

  • Cette phrase décrit l'aspect pratique et immédiat de l'action syndicale. Les syndicats ont pour mission première de coordonner les actions des travailleurs pour obtenir des gains concrets dans leur vie quotidienne.
  • Les exemples donnés (diminution des heures de travail, augmentation des salaires) illustrent des revendications concrètes et réalisables à court terme. Ces objectifs servent à renforcer la solidarité ouvrière et à mobiliser davantage de travailleurs autour des causes communes.

Sous-section 2 : L'action révolutionnaire

Phrase 3 :
"Mais cette besogne n'est qu'un côté de l'œuvre du syndicalisme : il prépare l'émancipation intégrale(5) qui ne peut se réaliser que par l'expropriation capitaliste(6) ; il préconise comme moyen d'action la grève générale et il considère que le syndicat, aujourd'hui groupement de résistance, sera, dans l'avenir, le groupement de production et de répartition, base de réorganisation sociale(7)."

  • Cette phrase marque un tournant important : elle élargit l'objectif des syndicats au-delà des revendications immédiates pour inclure une transformation radicale de la société.
  • L'expression "émancipation intégrale" désigne une libération complète des travailleurs de toutes les formes d'exploitation et d'oppression. Cet objectif dépasse les simples améliorations économiques pour viser une révolution sociale.
  • L'expropriation capitaliste est présentée comme la condition nécessaire pour atteindre cette émancipation. Cela implique une prise de contrôle collective des moyens de production, actuellement détenu par la classe capitaliste.
  • La grève générale est identifiée comme le principal outil pour réaliser cette transformation. Cette méthode repose sur la force collective des travailleurs pour paralyser l'économie capitaliste et imposer leurs revendications.
  • Enfin, la vision selon laquelle les syndicats deviendraient les futurs groupements de production et de répartition montre comment les structures syndicales actuelles peuvent être transformées en bases pour une nouvelle organisation sociale. Cela reflète une grande confiance dans les capacités des travailleurs à s'organiser démocratiquement.

💮Quatrième Paragraphe

Phrase 1 :
"Le Congrès déclare que cette double besogne, quotidienne et d'avenir, découle de la situation de salariés qui pèse sur la classe ouvrière et qui fait à tous les travailleurs, quelles que soient leurs opinions où leurs tendances politiques ou philosophiques, un devoir d'appartenir au groupement essentiel qu'est le syndicat(8)."

  • Cette phrase relie les deux types d'actions syndicales (quotidienne et révolutionnaire) à la condition même de salarié. Le statut de salarié impose aux travailleurs une double obligation : lutter pour améliorer leurs conditions immédiates et travailler à long terme pour abolir le système salarial.
  • L'affirmation selon laquelle tous les travailleurs, indépendamment de leurs opinions politiques ou philosophiques, ont un devoir d'appartenir au syndicat reflète l'aspiration à une unité ouvrière totale. Cela renforce l'idée que la lutte syndicale transcende les divisions internes au mouvement ouvrier.

💮Cinquième Paragraphe

Sous-section 1 : Liberté individuelle

Phrase 1 :
"Comme conséquence, en ce qui concerne les individus, le Congrès affirme l'entière liberté pour le syndiqué de participer, en dehors du groupement corporatif, à telles formes de lutte correspondant à sa conception philosophique ou politique, se bornant à lui demander, en réciprocité, de ne pas introduire dans le syndicat les opinions qu'il professe au dehors."

  • Cette phrase pose les bases de la séparation stricte entre engagement personnel et action syndicale collective. Chaque individu reste libre de s'engager dans des activités politiques ou philosophiques en dehors du cadre syndical.
  • Toutefois, cette liberté individuelle est accompagnée d'une obligation claire : ne pas importer ces opinions dans les discussions ou les actions syndicales. Cela garantit l'unité et l'autonomie des syndicats face aux divisions politiques.

Sous-section 2 : Indépendance des organisations

Phrase 2 :
"En ce qui concerne les organisations, le Congrès déclare qu'afin que le syndicalisme atteigne son maximum d'effet, l'action économique doit s'exercer directement contre le patronat(9), les organisations confédérées n'ayant pas, en tant que groupements syndicaux, à se préoccuper des partis et des sectes qui, en dehors et à côté, peuvent poursuivre, en toute liberté, la transformation sociale."

  • Cette phrase étend la séparation entre syndicats et partis politiques au niveau organisationnel. Les syndicats doivent agir de manière autonome, sans interférence des partis politiques ou des "sectes" (terme utilisé pour désigner les courants idéologiques minoritaires).
  • L'action économique directe contre le patronat est présentée comme le moyen le plus efficace pour atteindre les objectifs syndicaux. Les partis politiques sont invités à poursuivre leurs activités en dehors des syndicats, sans interférence avec ceux-ci.

💮Conclusion

    Chaque phrase et chaque paragraphe de la résolution d'Amiens contribue à construire une doctrine syndicale cohérente et ambitieuse. Elle combine des objectifs immédiats (amélioration des conditions de travail) avec des aspirations profondément enracinées dans un idéal révolutionnaire : la transformation radicale des relations sociales de production pour instaurer une société basée sur l'égalité, la justice et l'autogestion ouvrière.

    Cette résolution articule avec précision une double mission pour les syndicats : agir au quotidien pour améliorer les conditions matérielles des travailleurs tout en préparant, à long terme, une rupture fondamentale avec le système capitaliste. L'idéal révolutionnaire ici n'est pas simplement une projection lointaine ou abstraite, mais un horizon concret vers lequel tendent les actions quotidiennes des syndicats. Il s'agit d'une vision qui transcende les divisions internes au mouvement ouvrier en proposant une alternative réaliste et pratique à l'ordre établi.

    En affirmant l'indépendance totale des syndicats vis-à-vis des partis politiques, la résolution d'Amiens met en avant une méthode spécifique pour atteindre cet idéal : l'action directe, la grève générale et la construction de nouvelles structures économiques et sociales à partir des groupements syndicaux existants. Cette approche reflète une confiance absolue dans les capacités des travailleurs à organiser leur propre libération sans médiation extérieure.

    Ainsi, la résolution d'Amiens ne se contente pas de définir une stratégie tactique ; elle pose les bases d'un projet global d'émancipation humaine, où l'idéal révolutionnaire devient une force motrice pour guider les luttes présentes et futures des travailleurs. 

 

NOTES

1 : "La Confédération générale du travail a exclusivement pour objet d’unir, sur le terrain économique et dans des liens d’étroite solidarité, les travailleurs en lutte pour leur émancipation intégrale."
    L'article 2 constitutif des statuts de la C.G.T. de  1895, exprime avec clarté et force les objectifs et les méthodes de l’organisation syndicale. En plaçant l’action économique et la solidarité ouvrière au cœur de sa mission, il pose les bases d’un syndicalisme autonome, uni et radical. L’idée d’émancipation intégrale  donne un horizon ambitieux à la lutte des travailleurs, alliant des revendications immédiates à une vision de long terme pour une société juste et égalitaire. Cet article est un symbole puissant de l’esprit combatif et émancipateur du syndicalisme révolutionnaire.
 
2 : "travailleurs conscients" désigne les ouvriers qui ont acquis une compréhension critique de leur condition et des mécanismes d'exploitation du système capitaliste. Cette expression met en avant la nécessité d'une prise de conscience collective pour construire une unité ouvrière solide et efficace. Elle reflète également l'idéal du syndicalisme révolutionnaire, où les travailleurs, conscients de leur rôle historique, deviennent les artisans de leur propre émancipation.
 
3 : "travailleurs en révolte" désigne les ouvriers qui, conscients de leur exploitation et de leur oppression, s'organisent pour combattre le système capitaliste. Cette expression encapsule à la fois une critique radicale du capitalisme, une reconnaissance de la conscience de classe, et une valorisation de l'action collective et directe. Elle symbolise l'esprit combatif qui anime le syndicalisme révolutionnaire et invite les travailleurs à passer de la résignation à la résistance active.

4 : "toutes les formes d'exploitation et d'oppression" désigne l'ensemble des injustices économiques, sociales et psychologiques subies par les travailleurs sous le régime capitaliste. Cette expression met en avant la complexité de la domination patronale et souligne la nécessité d'une lutte globale pour transformer la société. Elle reflète également l'ambition du syndicalisme révolutionnaire : libérer les travailleurs non seulement des contraintes économiques, mais aussi des aliénations morales qui accompagnent l'exploitation.
 
5 : "émancipation intégrale" désigne une libération complète et globale des travailleurs de toutes les formes d'exploitation et d'oppression. Ce concept dépasse les revendications immédiates pour viser une transformation radicale de la société, où les travailleurs deviennent les maîtres de leur destin. Il reflète l'ambition du syndicalisme révolutionnaire : construire une société fondée sur la coopération, l'égalité et la dignité humaine. Cette expression reste aujourd'hui un symbole puissant de l'esprit émancipateur du mouvement ouvrier.

6 : "expropriation capitaliste" désigne la prise de contrôle collective des moyens de production actuellement détenus par la classe capitaliste. Ce concept reflète l'ambition du syndicalisme révolutionnaire : transformer radicalement la société en supprimant l'exploitation et en instaurant une gestion démocratique des ressources. Bien que cet objectif soit ambitieux, il reste un symbole puissant de l'esprit émancipateur du mouvement ouvrier.

7 : "groupement de production et de répartition, base de réorganisation sociale" désigne le rôle futur des syndicats dans une société post-capitaliste. Ce concept exprime l'idée que les syndicats ne sont pas seulement des outils de lutte contre le patronat, mais aussi les fondations d'une nouvelle organisation sociale basée sur la coopération, la démocratie et l'égalité. Bien que cet objectif soit ambitieux, il reste un symbole puissant de l'esprit émancipateur du syndicalisme révolutionnaire.
 
8 : "un devoir d'appartenir au groupement essentiel qu'est le syndicat" exprime l'idée que tous les travailleurs ont une responsabilité collective de s'engager dans la lutte syndicale. Cette formulation reflète l'importance centrale accordée aux syndicats dans la défense des droits des travailleurs et la transformation de la société. Elle incarne l'esprit de solidarité et d'unité qui anime le syndicalisme révolutionnaire, tout en soulignant le rôle fondamental des syndicats dans la construction d'un monde plus juste et émancipé.
 
9 : "l'action économique doit s'exercer directement contre le patronat" exprime l'idée que les syndicats doivent concentrer leurs efforts sur une lutte concrète et immédiate contre les structures économiques qui exploitent les travailleurs. Cette formulation reflète l'esprit du syndicalisme révolutionnaire, qui privilégie l'action directe et autonome face au patronat, excluant toute médiation politique ou institutionnelle. Elle reste aujourd'hui un symbole fort de la lutte ouvrière pour l'égalité et l'émancipation.
 
  


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