RÉFLEXIONS
D’UN OUVRIER TAILLEUR
sur la
Misère des Ouvriers en général,
LA DURÉE DES JOURNÉES DE TRAVAIL,
LE TAUX DES SALAIRES,
les rapports actuellement établis entre les Ouvriers et les Maîtres d'atelier,
LA DURÉE DES JOURNÉES DE TRAVAIL,
LE TAUX DES SALAIRES,
les rapports actuellement établis entre les Ouvriers et les Maîtres d'atelier,
LA NÉCESSITÉ DES ASSOCIATIONS D'OUVRIERS,
comme moyen d'améliorer leur condition :
comme moyen d'améliorer leur condition :
Citoyens,
Sous un gouvernement qui ne permet pas qu’on enseigne à l’ouvrier sa destinée d’homme, qui fait insulter, par ses magistrats, la classe la plus nombreuse et la plus utile de la société, qui prétend que nous ne sommes point hommes comme les autres (1), qui ne nous considère que comme l’instrument des jouissances du riche fainéant; sous un gouvernement qui sacrifie si audacieusement les intérêts sacrés dé l’humanité à la cupidité de ses souteneurs, il faudrait désespérer de notre avenir, si nous ne nous hâtions d’unir nos efforts contre ceux qui spéculent sur notre ignorance et notre misère; il faudrait désespérer, si nous n’avions le sentiment de notre force et la volonté d’en user à notre profit; nous avons de plus la raison, la justice et le concours de tous les hommes généreux qui se dévouent chaque jour au succès de la cause populaire.
Cherchons donc, citoyens, les moyens d’améliorer notre malheureuse condition, et que chacun de nous sache endurer des privations, des souffrances passagères, braver même des dangers, lorsqu’il sera démontré qu’ils doivent avoir pour résultat l’avantage de tous; c’est là le cachet du dévouement et de la fraternité.
En admettant que notre existence ne soit jamais compromise par la stagnation du commerce ou par la morte-saison, que nous soyons en tout temps suffisamment entretenus d’ouvrage, le prix de notre salaire est-il en rapport avec le prix de notre consommation? peut-il suffire à tous nos besoins? la durée de notre travail est-elle en rapport avec nos forces? permet-elle à nos facultés de se développer? Voila les questions que nous ne devons jamais perdre de vue, quand nous échangeons nos services contre l’argent du maître.
Nous travaillons 14 et 18 heures par jour, dans l’attitude la plus pénible; notre corps se déforme et se casse; nos membres s’engourdissent et perdent leur agilité, leur vigueur; notre santé se ruine, et nous ne quittons l’atelier que pour entrer à l’hôpital. Comment consacrer quelques heures de la vie à notre instruction? Comment exercer notre intelligence, éclairer notre esprit, adoucir nos mœurs? Il nous faut rester exposés au mépris des insolents, à la friponnerie des hommes adroits, et, si l’excès de nos malheurs et de nos humiliations nous rend parfois violents et colères, on nous traite de brigands et de canaille; alors il faut des lois martiales, des sergents de ville, des geôliers, des bourreaux pour comprimer ce peuple mutin et rebelle: telle a été jusqu’ici la justice des gouvernants et des riches; l’ignorance mène à la dépravation, et ils voudraient que nous fassions dépravés pour donner cours à leur cupidité, sous des mesures apparentes d’ordre public.
Tous conviennent de la nécessité de l’instruction, et ils cherchent à nous abrutir par un travail qui absorbe à la fois notre temps, nos forces et nos facultés; de même ils conviennent de la nécessite du travail, et ils vivent dans le loisir, ils se gorgent de superfluités; à nous seuls il est défendu de goûter le moindre plaisir. Pour nous, malheureux, le plaisir c’est un sommeil de quelques heures sur un grabat en lambeaux, dans un taudis humide... Le plaisir! mais nous ne sommes pas des hommes comme les autres; travailler, toujours travailler, toujours produire sans jouir de rien, sans posséder seulement le nécessaire! Notre salaire, insuffisant déjà pour le célibataire, ne peut nourrir une famille; des aliments grossiers et malsains, des vêtements incommodes, des guenilles, c’est tout ce qu’il peut nous procurer. Aussi le moindre accident qui vient occasionner une dépense imprévue ou suspendre notre travail, menace bientôt notre existence. Si notre ouvrage n’est pas bien exécuté, s’il n’est pas achevé à l’heure fixée, nous sommes victimes de retenues excessives, puis des reproches humiliants, des exigences tyranniques, voila nos plaisirs. - Ne nous plaignons pas trop pourtant; n’avons-nous pas une demi-journée de repos, le dimanche, après six jours et demi d’un travail homicide? - Qu’il nous arrive ce jour-là le plus léger écart, ceux qui ne se refusent aucune jouissance, qui passent leur vie dans les fêtes et dans le libertinage du bon ton, ne manquent pas de nous accuser de dissipation et de débauche, nous qui n’avons jamais connu les douceurs de la vie domestique, nous qui sommes condamnés, soit à vivre dans un célibat monotone et désespérant, soit à élever nos enfants dans la plus affreuse misère! Voyez ensuite avec quelle facilité les riches introduisent le désordre dans nos ménages, la corruption dans nos familles, ou nous ravissent jusqu’à notre dignité d’hommes, par des aumônes avilissantes.
Croyez-le bien, citoyens, c’est sous le masque de la générosité qu’ils parviennent à nous maintenir dans le dénuement le plus complet et dans la soumission la plus humble. Repoussons, avec fierté, tout ce qui n’est pas le fruit de notre travail; mais exigeons le prix auquel il nous donne droit; ainsi, nous aurons une aisance indépendante du maître, et le maître fera supporter aux riches l’augmentation qui nous est nécessaire. Que les difficultés n’abattent pas notre courage; ne sommes-nous pas, par nos souffrances journalières, à l’épreuve de tous les dangers! D’ailleurs il est plus facile qu’on le pense d’obtenir ce résultat.
En attendant qu’un gouvernement populaire soulage l’extrême pauvreté aux dépens de l’extrême opulence, par un meilleur système d’impôts et par une sage organisation du travail, unissons-nous pour resserrer les liens de la fraternité, pour fournir des secours aux plus nécessiteux d’entre nous, pour fixer enfin nous-mêmes le maximum de la durée du travail, et le minimum du prix de la journée; c’est-à-dire, pour prendre l’engagement de ne travailler que pendant le temps et pour le prix déterminés par nous; appelons nos frères des autres corps d’état à suivre notre exemple: alors il faudra bien que le maître accepte la loi de l’ouvrier. Nous serons heureux, n’en doutez pas, dès que nous voudrons être les artisans de notre destinée. - Que si l’on nous conteste le droit de nous associer dans notre intérêt commun, bien qu’un arrêt récent (- Que si l’on nous conteste le droit de nous associer dans notre intérêt commun, bien qu’un arrêt récent (2) l’ait reconnu au profit des riches commissionnaires de roulage, poursuivons encore, dussions-nous, comme nos frères de Lyon, pousser ce cri de détresse: ) l’ait reconnu au profit des riches commissionnaires de roulage, poursuivons encore, dussions-nous, comme nos frères de Lyon, pousser ce cri de détresse: Vivre en travaillant, ou mourir en combattant.
Il faut que notre association soit assez forte, assez unie, pour résister aux prétentions de ceux qui nous exploitent, et pouvoir assurer à chacun de nous:
- 1- Un salaire qui permette des économies pour la morte saison et les dépenses accidentelles;
- 2- Le temps de repos nécessaire à la santé et à l’instruction;
- 3- Des rapports d’indépendance et d’égalité avec les maîtres.
Il faut que nous puissions arriver progressivement à ne travailler que pendant dix heures au plus, et moyennant au moins cinq ou six francs par jour.
Bien des gens se récrieront sans doute contre nos projets; ils trouveront notre demande exorbitante: ne nous en étonnons pas; on accorde volontiers un traitement annuel de dix-huit cents francs et plus à un simple commis de bureau, pour un travail de 6 heures par jour, mais à nous, pauvres mercenaires , on nous ôterait notre pain des mains si l’on osait. Cinq ou six francs par jour font une somme de 1.400 à 1.700 francs par an; mais ne sommes-nous pas privés de travail, et par conséquent de salaire, pendant moitié de l’année! Poursuivons donc sans avoir égard au blâme de nos ennemis.
Qu’une commission permanente soit chargée de recevoir les plaintes et les propositions, de prendre, sous sa responsabilité, telle mesure générale qu’elle croira conforme à nos intérêts, sauf notre ratification; quelle se mette en rapport avec les divers comités des associations d’ouvriers; qu’elle provoque la nomination d’un comité central dont l’action s’étendra sur tous les corps d’ouvriers à la fois; qu’elle soit composée d’hommes honorables; leur mission exige des mœurs pures, de l’énergie et du dévouement; ils auront ainsi de l’autorité parmi nous, et nous regarderons leurs avis comme des ordres.
Commençons d’abord par limiter la durée de nos journées de travail, convenons ensuite de ne plus consentir à aucune diminution de salaire, dans quelque circonstance que ce soit, de ne jamais souffrir qu’un de nos frères soit victime des injustices d’un maître, ou subisse quelque humiliation. Que le maître insolent soit privé de nos bras jusqu’à ce qu’il ait avoué ses torts! Soyons justes aussi, laissons-le renvoyer honnêtement l’ouvrier qui ne lui convient plus: ce droit est réciproque. Il ne s’agit ici ni de récrimination, ni de vengeance, c’est notre dignité d’homme, c’est la vie que nous disputons aux riches.
Mais, citoyens , notre but serait loin d’être atteint, si nous bornions là l’action de notre commission; en effet, si le prix de nos produits augmentait en raison de celui de notre salaire, nos 6fr. par jour seraient bientôt insuffisants; nos mesures ne peuvent donc être que provisoires. Il faut porter nos vues plus haut, remonter à la cause du mal, et nous préparer à la détruire. Ce sont moins les maîtres pour lesquels nous travaillons que les lois de notre pays qui s’opposent à l’amélioration de notre état; ce sont ces impôts sur les objets de première nécessité qui nous enlèvent la plus forte partie de nos salaires; ces sont ces monopoles qui nous interdisent l’entrée, des professions lucratives. N’oublions donc pas que les riches seuls font la loi, et que nous ne pourrons nous affranchir définitivement du joug de la misère, qu’en exerçant, comme eux, nos droits de citoyen. Comme eux, nous devons participer au bonheur et aux jouissances de la vie; car c’est nous qui leur procurons ces jouissances; c’est dans nos rangs aussi qu’ils viennent chercher des bras et du courage pour protéger leurs domaines menacés; nous sommes l’engrais des champs de bataille. Eh quoi! nous avons le sentiment de nos malheurs, et nous resterions désunis, inactifs, à la merci de ceux qui nous oppriment et nous appauvrissent? Quel serait donc l’avantage de la société, si la majorité laborieuse était éternellement la proie d’une minorité oisive et cupide?
Citoyens, notre cause est la cause publique; son triomphe est assuré, si nous savons persévérer au mépris de la misère et des persécutions.
GRIGNON, ouvrier tailleur,
Membre de la Société des Droits de l’Homme.
(1) : Me Persil, procureur-général, dans le procès du crieur public DELENTE, à l’audience du 10 octobre dernier, a dit: «Tout ce que la justice a fait contre la licence de la presse et contre les associations politiques serait perdu, si l’on pouvait peindre chaque jour à des ouvriers leur position, comparée à celle d’une classe d’hommes plus élevée de la société, en leur répétant qu’ils sont hommes comme eux, et qu’ils ont droit aux mêmes jouissances...».
(2) : Arrêt de la cour royale de Paris du 29 août 1833.
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LE BONNET DE LA LIBERTÉ.
AIR: Quand secourai-je la poussière
Qui ternit tes nobles couleurs?
Français, les Rois sont en famille;
Leurs canons sont braqués sur nous.
Ils menacent de leur courroux
Le vieux drapeau de la Bastille.
Relevons-nous avec fierté
Pour briser une ligue altière!
Couronnons la sainte bannière
Du bonnet de la liberté! (bis)
Entendez résonner l’enclume:
Nos maîtres nous forgent des fers;
Mais pour engloutir les pervers
Voyez l’Etna qui se rallume.
Ils ont cru le lion dompté:
Il va redresser sa crinière...
Couronnons la sainte bannière
Du bonnet de la liberté! (bis)
Au despotisme qui conspire
Montrons l’oriflamme éclatant!
Montrons-lui le drapeau géant
Chargé des lauriers de l’empire.
En proclamant l’Égalité,
Arborons-le sur la frontière;
Couronnons la sainte bannière
Du bonnet de la liberté! (bis)
Une lâche diplomatie
A genoux marchande la paix;
Elle traîne l’honneur français
Dans la fange de l’infamie.
Du système emphilipesté
Pour clore l’ignoble carrière,
Couronnons la sainte bannière
Du bonnet de la liberté! (bis)
Ce coq, qui souffre qu’on l’enchaîne,
N’est pas celui de nos aïeux.
Ce n’est pas l’oiseau glorieux
Qui fit trembler l’aigle romaine!
Il rampe sous la royauté,
Couvert de boue et de poussière!...
Couronnons la sainte bannière
Du bonnet de la liberté! (bis)
Lorsqu’en sa course fugitive,
Le temps emportera les rois,
Nous irons, armés de nos droits,
Crier à l’Europe captive:
«Peuples! paix et fraternité!
Nous vous apportons la lumière!...»
Couronnons la sainte bannière
Du bonnet de la liberté!

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