vendredi 30 mai 2025

Karel YON - Un syndicalisme à l’écart des mouvements sociaux (2007)

 


 Un syndicalisme à l’écart des mouvements sociaux.

Force ouvrière, entre contestation syndicale et légitimisme politique.

par Karel YON

 

    Lilian Mathieu a récemment proposé la notion d’« espace des mouvements sociaux » pour rendre compte de l’affirmation progressive d’un univers militant distinct du champ partisan 1, tout en insistant sur la nécessité de réfléchir plus avant à l’articulation entre cet espace et le champ syndical. Si l’espace des mouvements sociaux constitue « un univers de pratique et de sens relativement autonome à l’intérieur du monde social »2, il convient dès lors d’étudier sous quelles conditions des syndicalistes peuvent s’inscrire dans cet espace. Ce texte se propose de le faire à partir du cas de Force ouvrière, en prenant comme point de départ le récit de vie d’un militant recueilli dans le cadre d’une enquête de terrain 3.
 

    Le profil de Damien semble assez représentatif des militants syndicaux que l’on pourrait situer du côté de l’espace des mouvements sociaux. À 35 ans, il est secrétaire du syndicat des fonctionnaires territoriaux de sa commune, une petite ville minière dans laquelle il travaille depuis le début des années 1990. Il a rejoint FO peu de temps après, tout en s’investissant dans de multiples causes : après avoir été adhérent du MJS, puis militant au PS, il a rejoint la LCR. Il a été responsable d’une association d’éducation populaire, est adhérent de Ras l’Front. Il a été tenté par l’humanitaire, a soutenu Act Up, soutient encore une association de défense de la condition animale, et place ses engagements, y compris le choix de FO (en comparaison avec la CGT, à laquelle il a failli adhérer), sous le signe de l’action protestataire : « je suis assez friand des associations qui luttent vraiment quoi. […] On le voit sur les grands mouvements nationaux, les grèves de 2003, les grèves de 95 […]. FO, je dirai pas qu’ils sont parfaits parfaits, mais ils sont quand même un peu plus virulents, ils gardent quand même leur indépendance d’esprit, d’action, plus que la CGT quand même. Parce que la CGT ils sont vraiment en hibernation quand y a la gauche au pouvoir. »
 

    Dans son discours, les différentes sphères de son existence sociale (professionnelle, syndicale, politique, amicale…) sont étroitement imbriquées, l’identité de militant donnant leur unité à l’ensemble de ces expériences sociales. Ses fréquentations sont d’abord militantes : « je n’ai quasiment que des copains qui partagent mes opinions [rire …]. Ce qui nous vaut aussi des fois des soirées, moi j’apprécie ça énormément, des soirées sur la politique… D’ailleurs nos femmes nous freinent régulièrement ».

    Le fait qu’il ne soit pas permanent syndical, et le type d’activité professionnelle qu’il exerce lui permettent de vivre son métier en militant : « je fais des formations Bafa, je suis formateur d’animateurs, donc je leur dis, si vous venez pas à l’animation, comme un militant à part entière, vous n’y resterez pas et vous allez vous écœurer, vous allez passer un mauvais moment quoi. […] Moi je fais mon boulot par militantisme. » Son engagement à FO prend dès lors un sens qui dépasse l’activité syndicale immédiate : « même si on va négocier des salaires, tout ça, ça c’est anecdotique, c’est pas le but premier du syndicat, c’est pas ça quoi. […] Moi je dis souvent à mes camarades c’est qu’on a une philosophie de la vie ».
     

    Il se trouve cependant que Damien est à la fois très représentatif du milieu sociopolitique dans lequel s’inscrit FO, et assez atypique. Son habitus personnel rend bien compte des transformations sociales qui ont permis la formulation de la notion d’espace des mouvements sociaux ; la pertinence de ce concept tient à la perte d’évidence d’un terme qui a longtemps servi de point d’ancrage cognitif pour penser le militantisme : le mouvement ouvrier 4. Damien a en effet baigné dans ce milieu : « j’ai toujours vécu dans un milieu familial très engagé, très sûr de ses convictions qui sont des convictions socialistes, lointaines puisque ça remonte à la SFIO […] Mon père il fait sa généalogie, et apparemment, vraiment le militantisme c’est ancré de longue date. On a eu un maire-député… oui vraiment la totale quoi. Et toujours dans le monde ouvrier […]. Et mineurs, toujours mineurs. […] Depuis 1860 on est dans le secteur. Et ça s’est arrêté à mon grand-père, qui avait été clair avec mon père, qui avait dit, si jamais tu descends, ne serait-ce que d’un mètre à la mine, tu te prends une raclée ».

    De par sa socialisation familiale, Damien mobilise une grille de lecture « classiste », qui articule sentiment d’appartenance à la classe ouvrière et positionnement politique à gauche 5. Dans ce modèle, les identités sociale, syndicale et politique sont vécues subjectivement comme congruentes. Pour autant, sa trajectoire sociale rend impossible une identification totale à la figure du militant ouvrier : si une partie de sa famille reste ancrée dans cette « culture populaire de chez populaire », il reconnaît avoir hérité de ses parents « un statut de classe moyenne ». Son père « a effectivement fait des études un peu plus que les autres », est devenu enseignant, puis technicien-chimiste, pour finir « quand même gradé, une belle carrière ». Sa mère, fille d’un brigadier-chef, était formatrice. L’intensité de son engagement, et sa forte teneur « altruiste », parallèlement à un parcours scolaire médiocre (il quitte le lycée à 21 ans, sans aucun diplôme, contrairement à ses frères qui ne sont pas militants) peuvent dès lors être compris comme un moyen de résoudre cette contradiction, le militantisme offrant à sa « bonne volonté culturelle » un domaine d’investissement alternatif à l’école, synonyme de trahison sociale 6 : « je suis pas très très scolaire, ce qui ne m’a jamais empêché par exemple, s’agissant de tout ce qui est politique, de tout ce qui est géographique, de tout ce qui est historique, d’être au taquet quoi, parce que, comme c’était une passion, ben j’ai toujours énormément lu, tout mouflet […]. Je me plaisais à ça, surtout pas être pris comme un bon élève… Et c’est marrant parce que, quand j’imaginais mon avenir professionnel, je me voyais surtout pas comme cadre, mais absolument comme ouvrier, et ouvrier bas d’échelle quoi. C’était pour moi le but ultime à atteindre, de vivre dans le monde ouvrier, et de vivre la galère du monde ouvrier… Parce que pour moi si tu veux, ça drainait toute une série de valeurs ».

    Sa rupture avec le PS, pour rejoindre une organisation politique moins insérée dans le jeu institutionnel et dont les militants sont reconnus pour leur rôle dans les mouvements sociaux, illustre par ailleurs l’idée d’un univers militant s’affirmant dans la prise de distance à l’égard du monde politique « traditionnel ». Ainsi, il dit au sujet du PS : « y a aucune prise en compte des aspirations réelles de la population… ils s’en foutent complètement, c’est un parti d’élus, qui ne cherchent qu’une seule chose c’est à se faire réélire avant toute chose. […] Nos petits monarques… sont grassement rétribués hein. » 

    Cependant, tant le modèle du militant ouvrier que celui du « syndicaliste de mouvement social »7 sont marginaux au sein de FO. Si Damien a hérité du « classisme » de son père, c’est d’abord parce que celui- ci était militant à la CFDT, « la CFDT d’Edmond Maire ! [rire] Pas de Nicole Notat, ni de son successeur Chérèque ». Les transformations conjuguées des champs syndical et partisan expliquent que Damien puisse épanouir des dispositions « rebelles » au sein de FO, puis de la LCR, alors qu’il les a héritées d’un père qui les avait cultivées conjointement à la CFDT et au PS, à une époque où l’engagement dans ces organisations se faisait volontiers « virulent » : « il me raconte des fermetures d’usine de force, […] les grèves c’était souvent aussi des bagarres avec les jeunes, avec ceux qui trahissaient les ouvriers pour aller aider le patron, bon c’était aussi ça et c’était régulier… » Comme l’indique O. Fillieule, « les modifications de l’image publique d’un mouvement et de ses stratégies peuvent contribuer au cours du temps à bouleverser l’identité du collectif par la superposition de différentes ‘générations’ de militants dont les propriétés et les raisons d’agir peuvent avoir varié. »8  

    Damien appartient à une génération dont le premier contact avec FO est celui du mouvement social de 1995 : si cette date est un moment-clé du renouveau de la conflictualité sociale, elle l’est aussi de l’irruption de FO dans l’espace des mouvements sociaux. La poignée de main entre Marc Blondel, secrétaire général de FO à l’époque, et son homologue de la CGT, Louis Viannet, symbolisa l’alliance nouvelle qui fut considérée comme déterminante pour la mobilisation. Cet épisode rendit visible aux yeux de tous, dans et hors de l’organisation – et non sans crises au sein de celle-ci – une évolution, engagée depuis les années 1980, du répertoire d’action et de la stratégie portés par la confédération, marquée par une réévaluation du recours à la conflictualité sociale et l’acceptation de mobilisations communes avec la CGT. 

    C’est encore ce qu’exprime Damien : « j’ai rien contre la CGT […]. Tout comme j’ai pas l’animosité que mon père avait contre le PCF. […] Et je suis même de ceux qui défendent un rapprochement CGT-FO. Parce que je considère que, à la fois ça a une logique historique, et ça a une logique dans les faits quoi. Qui c’est qui défend le bifteck actuellement, depuis maintenant dix ans, si ce n’est FO et la CGT quoi ! C’est les deux seuls qui s’opposent encore. » Pour autant, la plupart des responsables syndicaux FO, et en premier lieu ceux qui ont opéré ce changement de stratégie, ne sont pas de cette génération. Ils récusent explicitement l’idée d’un syndicalisme qui se projetterait dans un espace militant plus large. Damien l’a appris à ses dépens quand, dans la presse locale, une interview le présentant comme syndicaliste et militant LCR lui valut de sévères réprimandes : « ça a pas plu non plus à FO hein. J’ai eu, ici ils ont reçu un fax, avec l’article de presse, un de nos camarades courageux, qui avait écrit, ouais faut pas s’étonner que FO soit entourée de rouges, bravo à nos camarades… »

    La plupart des militants FO ont intériorisé et perpétuent, dans leur pratique syndicale, une vision du monde social qui fait de l’univers syndical un monde dont la logique doit être clairement distinguée des univers connexes de militantisme, qu’il s’agisse du champ politique ou des divers secteurs associatifs. Ils respectent en cela la délimitation fixée par l’autorité politique, depuis 1884, au domaine légitime de l’action syndicale 9 . C’est à ce titre, par exemple, que les dirigeants de la CGT-FO ont toujours refusé de participer aux manifestations « carnaval » de 1er mai, ou que l’investissement de FO dans des cadres de mobilisation dépassant l’alliance intersyndicale est rarissime. Cette posture est également visible dans la façon dont les militants FO récusent toute projection des principes de division du monde politique, et en premier lieu le clivage gauche-droite, sur leur pratique syndicale. La définition légitime du « bon » syndicaliste passe, à FO, par le refus de la « confusion des genres », particulièrement dans le rejet de la « politisation » du syndicalisme. 

    Si cette posture peut paraître relativement originale dans l’univers militant, elle renvoie pourtant à la façon ordinaire de se repérer dans un monde social complexe, constitué d’une multitude d’ordres d’activité ou « champs sociaux », tous dotés de leur logique propre. C’est ce que rappelle J. Lagroye dans un article sur les processus de politisation : « ‘mélanger les genres’ […], contester en pratique la pertinence et la légitimité des séparations instituées et constamment consolidées, […] c’est – d’un même mouvement – dire la vérité des relations sociales qui ne se laissent jamais enfermer dans les dispositifs et les logiques d’un seul champ constitué, et remettre en cause une architecture des rapports sociaux à laquelle les êtres humains sont attachés et dans laquelle ils ont appris à se repérer et à vivre. La violence de cette transgression […] tient à ce qu’elle compromet la réussite des entreprises les plus ordinaires. »10  

    Qu’on soit politiste, militant des mouvements sociaux ou lecteur de ContreTemps, l’ordinaire intellectuel tient souvent de l’affranchissement vis-à-vis de ces frontières symboliques, qu’il s’agisse d’étudier les interdépendances entre associations, syndicats et partis, de rassembler les luttes des sans-papiers, des étudiants contre le CPE et des salariés de MacDo sous l’emblème commun de la lutte contre la précarité, ou de souligner les enjeux politiques des questions les plus ordinaires. Cette habitude n’est cependant pas donnée à chacun. S’il existe des conditions sociales disposant à la critique des catégories légitimes pour penser et agir dans le monde, inversement, la résistance à ces entreprises de transgression trouve aussi son explication dans des conditions sociales particulières. C’est en partant de ce constat que j’ai posé l’hypothèse, au principe de l’agrégation, au sein de FO, de salariés aux origines sociales diverses, de la valorisation syndicale d’une sorte d’ethos légitimiste.

    À la différence de Damien, la plupart des syndicalistes rencontrés au cours de mes recherches semblent en effet avoir connu une socialisation familiale proposant une organisation symbolique du monde fondée sur la reconnaissance de l’ordre politique légitime. Ce légitimisme politique peut être revendiqué et valorisé dans le cas de familles politisées, plutôt gaullistes ou socialistes, marquées par l’idéologie méritocratique et le culte de la République. Il peut aussi relever de l’évidence non questionnée, chez ceux ayant connu une forte éducation catholique, des parents plutôt à droite et/ou bannissant les discussions politiques en famille. 

    Partant de la définition commune de ce qui est politique et de ce qui ne l’est pas, cette socialisation reprend à son compte la division légitime du travail politique, confinant l’expression politique des profanes au cadre privé de l’isoloir, confiant la manipulation des biens politiques à des professionnels élus, et impliquant en retour l’évidence de la nature fondamentalement non politique de l’activité syndicale. Cet ethos est dès lors relativement peu sensible aux préférences gauche-droite, puisqu’il repose plus sur la valorisation d’une forme d’expression des préférences politiques (ou plutôt de confinement de cette expression) que sur la valorisation de préférences spécifiées. Ce patrimoine commun, combinant allégeance et retrait face à l’ordre politique, explique que puissent coexister dans la même organisation des agents aux propriétés sociales parfois antagoniques, des catholiques les plus pratiquants aux militants laïcs et anticléricaux les plus fervents. Ce type de socialisation, qui conforte les frontières symboliques entre les ordres d’activité, se repère aussi chez des militants qui, dans l’espace des prises de position politiques, se positionneraient le plus à gauche. Ainsi de nombre de militants du Parti des Travailleurs, farouches défenseurs de la « démocratie de délégation », tel ce syndicaliste enseignant. S’il prolonge la voie professionnelle choisie depuis deux générations du côté maternel, celle d’instituteurs laïcs, plutôt à gauche mais sans engagements formels, il a connu par son père, sympathisant gaulliste et « quasi-médecin » (sa carrière médicale a été contrariée par la seconde guerre mondiale) un milieu plus conservateur. Il confesse une « crise mystique », qui s’est traduite par un bref passage à la Jeunesse Étudiante Chrétienne, avant de s’engager à l’UNEF et à l’AJS à la fin des années 1960, au moment d’un mai étudiant qu’il qualifie de « grand happening ». Dissociant les valeurs engagées dans son militantisme de celles mobilisées dans son travail, il justifie son engagement syndical par la défense d’intérêts professionnels, sans pour autant l’indexer à une pratique professionnelle : « le syndicalisme, tel que le conçoit la confédération Force ouvrière, on dit toujours ‘on a pas de projet de société mais on défend la démocratie’. Je pourrais dire que la conclusion dans le domaine du syndicalisme enseignant, c’est on a pas de projet d’école, mais on défend l’école laïque. C’est vrai que l’indépendance syndicale par rapport aux partis, par rapport aux Églises, c’est aussi par rapport aux sectes, aux philosophies, aux conceptions pédagogiques. […] Si y en a qui veulent travailler en équipe, ils travaillent en équipe, si y en a qui veulent pas travailler en équipe… »

    J’avais souligné dans un travail précédent la spécificité des militants « lambertistes » dans le milieu post-soixante-huitard de l’extrême gauche étudiante, en insistant sur leur attachement à la « normalité » et leur rejet culturel du gauchisme 11. L’exemple de FO permet d’élargir la focale sur les ressorts sociaux d’une telle posture. L’intériorisation d’une représentation légitimiste du monde social peut également orienter les formes de sa contestation légitime, la logique des champs offrant des points de repères cognitifs qui entretiennent l’évidence des seules identités professionnelle-syndicale et politique-partisane comme identités publiques pertinentes. En retour, elle rend difficilement pensables des identités ou des questions transversales aux découpages légitimes de l’ordre social et politique, telles que le genre, la sexualité ou la « race ». 

    L’exemple de FO montre que des militantismes « modérés » peuvent parfois surgir des ruptures décisives. Les ressorts de cette évolution tiennent autant aux luttes politiques internes à l’organisation qu’à l’épuisement des promesses d’ascension sociale que le syndicalisme « constructif » pouvait offrir aux petits employés et fonctionnaires qui peuplaient ses rangs. L’idée d’un ethos légitimiste permet de souligner le fait que la sociologie de l’action collective s’est a contrario longtemps appuyée sur le présupposé d’un militantisme en rupture, ce qui explique la faiblesse des travaux sur le militantisme à droite, les groupes de pression… ou les syndicats se voulant « réformistes ». Il me semble dès lors plus juste de réserver la notion d’espace des mouvement sociaux à un usage restreint, pour désigner l’émergence d’un phénomène spécifique, une sorte de « gauche mouvementiste », dont les acteurs ont en commun d’entretenir une défiance à l’égard des formes d’action publique institutionnalisées, et dont les rassemblements altermondialistes offrent une projection objectivée. Un usage plus extensif me semble problématique, si l’on entend désigner par cette formule l’action protestataire en général. Le risque est grand de durcir la frontière entre un espace où se retrouveraient des militantismes, divers sous le rapport des causes défendues et des positionnements politiques, mais unifiés sous le rapport des façons de faire entendre leur cause (le registre de l’action collective, directe, protestataire, etc.), et des militantismes plus conventionnels, privilégiant l’action dans les canaux institutionnalisés de l’ordre politique légitime. Or, l’institutionnalisation ancienne du champ syndical ne se traduit pas de manière unilatérale par une euphémisation des pratiques, qui permettrait de séparer nettement les syndicalistes qui « dialoguent » de ceux qui luttent 12. Elle est d’abord le signe de l’existence d’un champ syndical doté, aux yeux des agents qui s’y investissent, de sa propre légitimité. La difficulté à situer les syndicats dans cette géographie conceptuelle tiendrait dès lors à ce que beaucoup de militants syndicaux mobilisent alternativement ces deux registres d’action, tout en se pensant, pour certains d’entre eux, totalement étrangers à l’espace des mouvements sociaux.

 

Notes 

1 « Rapport au politique, dimensions cognitives et perspectives pragmatiques dans l’analyse des mouvements sociaux », Revue française de science politique, 52 (1), 2002 ; « Notes provisoires sur l’espace des mouvements sociaux », ContreTemps, 11, 2004 ; « L’espace des mouvements sociaux », communication au congrès de l’AFSP, Lyon, 2005.  

2 L. Mathieu, « L’espace des mouvements sociaux », com. citée, p. 2.  

3 Entretien du 3-II-06. Les réflexions esquissées ici sont tirées d’une thèse de science politique en cours. Pour une présentation plus détaillée, cf. K. Yon, « La notion d’indépendance syndicale à la CGT-FO : entre légitimisme politique et politisation critique », communication au colloque « Cent ans après la Charte d’Amiens : la notion d’indépendance syndicale face à la transformation des pouvoirs », Amiens, octobre 2006. 

4 C. Pennetier, B. Pudal, « Évolution des méthodes d’analyse du militant ouvrier, archétype du militant », in J. Gotovitch, A. Morelli, dir., Militantisme et militants, EVO, 2000.

5 G. Michelat, M. Simon, Les ouvriers et la politique. Permanence, ruptures, réalignements, Presses de Sciences Po, 2004. Les deux auteurs insistent sur la contribution du militantisme à la perpétuation de cette vision du monde : « l’organisation symbolique ici analysée n’est donc pas le simple redoublement de l’expérience ouvrière vécue, même si elle s’enracine dans cette expérience. Elle en représente une des mises en forme possibles, à connotation politique et idéologique fortes, dans la construction historique de laquelle les multiples courants du syndicalisme et du socialisme ont évidemment joué un grand rôle » (p. 122).  

6 Cf. B. Pudal, Prendre Parti. Pour une sociologie historique du PCF, Presses de la FNSP, 1989.

7 P. Waterman, « Social-movement unionism. A new Union model for a new world order ? », Fernand Braudel Center Review, 1993, XIV, 3.  

8 O. Fillieule, « Propositions pour une analyse processuelle de l’engagement individuel », Revue française de science politique, 51, 1-2, 2001, p. 211. 

9 D. Barbet, « Retour sur la loi de 1884. La production des frontières du syndical et du politique », Genèses, « La construction du syndicalisme », 3, 1991.  

10 J. Lagroye, « Les processus de politisation », in La politisation, Belin, 2003, p. 362-363.

11 K. Yon, « Modes de sociabilité et entretien de l’habitus militant. Militer en bandes à l’AJS-OCI dans les années 1970 », Politix, 70, 2005. 

12 Cf. B. Giraud : « Négocier avec l’État. Les conditions d’appropriation du rôle de partenaire social à travers l’exemple de la CGT », communication au colloque « Cent ans après la Charte d’Amiens : la notion d’indépendance syndicale face à la transformation des pouvoirs », Amiens, octobre 2006, A-C. Wagner : Vers une Europe syndicale. Une enquête sur la confédération européenne des syndicats, Editions du croquant, 2005, ainsi que mes propres remarques dans une note de lecture consacré à cet ouvrage (in Politix, 74, 2006). 

 

Extrait de ContreTemps, n°19, mai 2007, p. 42-49

 

mercredi 28 mai 2025

L'ASSASSINAT d'EUGÈNE VARLIN (28 mai 1871)

 


    Louise Michel décrit l’assassinat par les Versaillais d’Eugène Varlin qui est resté dans l’histoire du mouvement ouvrier, comme  elle-même, le symbole du soulèvement populaire.

    « La  Commune était morte, ensevelissant avec elle des milliers de héros  inconnus. Ce dernier coup de canon à double charge énorme et lourd !  Nous sentions bien que c’était la fin ; mais tenaces comme on l’est dans  la défaite, nous n’en convenions pas...

    Ce même  dimanche 28 mai, le maréchal Mac-Mahon fit afficher dans Paris désert :  “Habitants de Paris, l’armée de la France est venue vous sauver ! Paris  est délivré, nos soldats ont enlevé en quatre heures les dernières  positions occupées par les insurgés. Aujourd’hui la lutte est terminée,  l’ordre, le travail, la sécurité vont renaître”. 

    Ce dimanche-là, du côté  de la rue de Lafayette, fut arrêté Varlin : on lui lia les mains et son  nom ayant attiré l’attention, il se trouva bientôt entouré par la foule  étrange des mauvais jours. On le mit au milieu d’un piquet de soldats  pour le conduire à la butte qui était l’abattoir. La foule grossissait,  non pas celle que nous connaissions : houleuse, impressionnable,  généreuse, mais la foule des défaites qui vient acclamer les vainqueurs  et insulter les vaincus, la foule du vae victis éternel. La Commune  était à terre, cette foule, elle, aidait aux égorgements. On allait  d’abord fusiller Varlin près d’un mur, au pied des buttes, mais une voix  s’écria : “il faut le promener encore” ; d’autres criaient : “allons  rue des Rosiers”.

    Les soldats et l’officier  obéirent ; Varlin, toujours les mains liées, gravit les buttes, sous  l’insulte, les cris, les coups ; il y avait environ deux mille de ces  misérables ; il marchait sans faiblir, la tête haute, le fusil d’un  soldat partit sans commandement et termina son supplice, les autres  suivirent. Les soldats se précipitèrent pour l’achever, il était mort.  Tout le Paris réactionnaire et badaud, celui qui se cache aux heures  terribles, n’ayant plus rien à craindre vint voir le cadavre de Varlin.  Mac Mahon, secouant sans cesse les huit cents et quelques cadavres  qu’avait fait la Commune, légalisait aux yeux des aveugles la terreur et  la mort. 

    Vinoy, Ladmirault, Douay, Clinchamps, dirigeaient l’abattoir  écartelant Paris, dit Lissagaray, à quatre commandements.

      « Combien  eût été plus beau le bûcher qui, vivants, nous eût ensevelis, que cet  immense charnier !

Combien de cendres semées aux quatre vents pour la  liberté eussent moins terrifié les populations, que ces boucheries  humaines !

Il fallait aux vieillards de Versailles ce bain de sang pour  réchauffer leurs vieux corps tremblants. »



Source : Confédération Générale du Travail FORCE OUVRIÈRE 

 

 

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 VARLIN Eugène (Louis, Eugène, dit)

Dictionnaire des anarchistes

 

    Né le 5 octobre 1839 à Claye-Souilly  (Seine-et-Oise), fusillé à Paris le 28 mai 1871 ; ouvrier relieur ;  socialiste, syndicaliste et coopérateur ; un des dirigeants de l’AIT en  France ; membre de la minorité anti-autoritaire de la Commune de Paris.

    Si Eugène Varlin ne peut être considéré comme anarchiste stricto  sensu, le mouvement anarchiste se réclame communément de ce militant  précurseur du syndicalisme révolutionnaire, proche de Bakounine au sein  de la Première Internationale, et membre de la minorité anti-autoritaire  de la Commune de Paris.

    Ouvrier relieur très instruit, Eugène Varlin participa dès 1857 à la  fondation de la Société civile des relieurs, une société de secours  mutuels associant patrons et ouvriers. Il habitait alors 33, rue  Dauphine, à Paris VIe.

    En août 1864, il participa à la grève victorieuse des relieurs. Une  deuxième grève se produisit en 1865, qui échoua. Exclu de la société  mixte patrons-ouvriers, Varlin aida à la création de la Société  d’épargne et de crédit mutuel des ouvriers relieurs, dont il fut élu  président. Partisan de l’égalité des sexes, chose rare à l’époque, Varlin imposa la présence de la future communarde Nathalie Le Mel au  sein du conseil d’administration.

    L’année précédente avait été créée l’Association internationale des  travailleurs (AIT). Le premier bureau parisien s’installa en janvier  1865, 44, rue des Gravilliers, à Paris 3e. Varlin y adhéra (carte  n° 256) et entre à la commission administrative. Du 25 au 29 septembre  1865, il assista à Londres à la conférence de l’AIT, où il fit la  connaissance de Marx.

    Du 3 au 8 septembre 1866 Varlin fut délégué au Ier congrès de l’AIT à  Genève. Il s’y trouva en minorité dans la délégation parisienne en  défendant le droit au travail des femmes, et l’instruction publique  obligatoire des enfants (au lieu de l’éducation par les mères).

    En cette année 1868 commencèrent les poursuites contre l’AIT. En  mars, Eugène Varlin devint un des trois secrétaires de la section  parisienne, où les collectivistes prenaient l’avantage sur les  proudhoniens. En 24 juin, plusieurs responsables de la section furent  condamnés à trois mois de prison et à 100 francs d’amende. Varlin,  écroué en juillet, ne put participer au congrès de Bruxelles de l’AIT.

    À sa sortie de prison, en octobre, Varlin s’attela à la  reconstruction de l’AIT en France. L’année 1869 fut fertile en grèves,  et il s’en fit le promoteur, y voyant « l’organisation des forces  révolutionnaires du travail » (L’Égalité du 20 novembre 1869). La grève,  pour Varlin devait être autant une école de lutte qu’un moyen  d’améliorer la condition ouvrière. Le syndicalisme révolutionnaire  reprendra cette idée.

    L’année 1869 fut aussi une année d’élections. Malgré l’opposition des  « abstentionnistes, proudhoniens enragés », écrivit-il à Aubry le 8  janvier, Varlin présenta, en compagnie de 19 membres de l’AIT, un  programme d’inspiration républicaine et socialiste aux élections  générales de mai.

    Délégué au IVe congrès de l’AIT à Bâle, en septembre 1869, une majorité  collectiviste s’affirma. Hostile à l’étatisme, partisan de  l’auto-organisation des travailleurs, Varlin rejoignit alors, pendant  quelque temps, le courant animé par Michel Bakounine, sans adhérer à  toutes ses vues.
 

    Dans Le Commerce du 19 septembre il écrivit : « Les sociétés  corporatives (résistance, solidarité, syndicat) […] forment les éléments  naturels de l’édifice social de l’avenir ; ce sont elles qui pourront  facilement se transformer en associations de producteurs ; ce sont elles  qui pourront mettre en œuvre l’outillage social et organiser la  production. » Là encore, l’idée sera développée par Fernand Pelloutier.

    Durant le premier semestre 1870, Varlin parcourut le pays aider à  créer des sections de l’AIT. Une nouvelle vague de répression le  contraint à se réfugier en Belgique.

    Rentré en France au lendemain de la proclamation de la République, en  septembre 1870, il devint commandant du 193e bataillon de la Garde  nationale et entra au Comité central provisoire des vingt  arrondissements de Paris avec 6 autres membres de l’AIT. Il cosigna la  circulaire aux sections de province de l’AIT, qui déclarait : « Paris  assiégé par le roi de Prusse, c’est la civilisation, c’est la révolution  en péril. Nous voulons défendre Paris à outrance [...]. Notre  révolution à nous n’est pas encore faite, et nous la ferons lorsque,  débarrassés de l’invasion, nous jetterons révolutionnairement les  fondements de la société égalitaire que nous voulons. »

    Après le 18 mars 1871, Varlin fut élu par les 17e, 12e et 6e  arrondissements pour siéger à la Commune. Varlin choisit de représenter  le 6e et participa à la commission des Finances, passa aux Subsistances  puis à l’Intendance.

    Le 1er mai, il fit partie de la minorité anti-autoritaire du conseil de la Commune qui s’opposa à la création du comité de Salut public. Le 15  mai, il cosigna la déclaration accusant la Commune de Paris d’avoir  « abdiqué son pouvoir entre les mains d’une dictature à laquelle elle a  donné le nom de Salut public. »

    Au cours de la Semaine sanglante, du 21 au 28 mai 1871, Varlin se battit  sur les barricades jusqu’au dernier jour. Il tenta vainement de  s’opposer au massacre des otages. Le dimanche 28, alors qu’il errait rue  Lafayette, il fut dénoncé et arrêté. Conduit rue des Rosiers –  aujourd’hui rue du Chevalier-de-la-Barre – il fut adossé à un mur. Avant  d’être fusillé, il cria : «  se battit  sur les barricades jusqu’au dernier jour. Il tenta vainement de  s’opposer au massacre des otages. Le dimanche 28, alors qu’il errait rue  Lafayette, il fut dénoncé et arrêté. Conduit rue des Rosiers –  aujourd’hui rue du Chevalier-de-la-Barre – il fut adossé à un mur. Avant  d’être fusillé, il cria : « Vive la République ! Vive la Commune ! »

lundi 12 mai 2025

CORPS CASSÉS : le regard d’un médecin du travail (juin 2024)


 

CORPS CASSÉS :

le regard d’un médecin du travail

Extrait de la revue Plein droit n° 141, juin 2024 « Travailler au péril de sa santé »

 

La Docteure X suit près de 2500 salarié·es du secteur du nettoyage, mais aussi de l’hôtellerie. Elle observe, quotidiennement, les conséquences dramatiques, tant médicales que sociales, de l’externalisation du travail dans ces domaines d’activité. D’année en année, les cadences infernales brisent un peu plus les corps de ces travailleuses et travailleurs. Et, comme elle l’observait en aparté, on ne les nomme pas « les invisibles » par hasard.

 

En quoi consiste votre rôle en matière de prévention et de santé au travail ?

Dr X
: Il y a d’abord tout ce qui relève du suivi médical individuel et, ensuite, de l’action en milieu de travail, c’est-à-dire en lien avec l’entreprise : aller voir les postes, considérer les risques professionnels dans l’entreprise et échanger avec les employeurs. L’hôtellerie et le nettoyage sont les deux principaux secteurs dont je m’occupe.

    Les services de santé au travail ont beaucoup évolué. Auparavant, il n’y avait que des médecins du travail ; désormais, nous travaillons en équipe pluridisciplinaire, avec des infirmiers, des préventeurs techniques – ce sont des intervenants en prévention des risques professionnels –, mais aussi avec des assistants en santé au travail qui vont sur les lieux de travail. Le suivi médical, et plus particulièrement tout ce qui relève de l’aménagement de poste et de l’inaptitude – car le nettoyage est un secteur où il y a beaucoup d’inaptitude, de même dans l’hôtellerie – est pris en charge par le médecin. Mon rôle est aussi de m’occuper du maintien en emploi, autant que possible, et de prévenir la désinsertion professionnelle. Les salariés de ces deux secteurs sont extrêmement exposés à ce risque. On essaye, au maximum, de les maintenir en emploi, mais il y a un moment où ce n’est plus tenable. L’inaptitude est un enjeu crucial qui nous préoccupe de plus en plus, du fait de ses conséquences sociales néfastes.

Quelles sont les caractéristiques principales – s’il y en a – de la surveillance médicale des travailleuses et travailleurs étrangers ?

Dr X : Les particularités sont surtout liées aux risques professionnels propres à l’activité exercée, mais le faible niveau de qualification, l’illettrisme ou l’analphabétisme et les difficultés en informatique aggravent la situation des personnes immigrées. En pareil cas, c’est quasiment impossible de reconvertir un salarié, et cela se finit généralement par un licenciement pour raison médicale. Les aides sociales existantes prennent parfois le relais, mais pas toujours… Les salariés que je rencontre souffrent surtout de troubles musculo-squelettiques : ces maladies professionnelles sont liées aux gestes répétés, aux postures de travail, au port de charges. Les risques psychosociaux existent, comme dans d’autres métiers, mais la plupart du temps, les aménagements de poste et les inaptitudes sont corrélés à des problèmes locomoteurs, aux troubles articulaires multiples. C’est une population précaire, tant sur le plan médical que social, qui souffre également de pathologies chroniques sur lesquelles se greffent toutes les atteintes musculo-squelettiques liées au travail, avec des déclarations de maladies professionnelles à la pelle.

Il y a tout un parcours en amont de l’inaptitude…

Dr X : On tente d’adapter le poste, en mettant en place des restrictions, par exemple : pas de port de charges lourdes, pas de montées d’escaliers, pas de charge de travail élevée, selon les cas et les postes de travail. Dès qu’ils ont un problème physique relativement avancé, on les oriente vers des assistantes sociales et les maisons départementales des personnes handicapées pour demander la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé. On les réoriente aussi vers des médecins traitants, généralistes ou spécialistes, pour faire en sorte qu’ils soient mieux pris en charge médicalement. Leurs parcours de soins sont complexes tant ils ont, parfois, des pathologies dans tous les sens, ou parce qu’ils n’ont pas vu de spécialistes, que leur situation financière est précaire avec des difficultés d’accès aux soins. Il y a des intrications entre les difficultés de prise en charge médicale et la précarité. Dans le nettoyage, c’est particulièrement visible : ces salariés à temps partiel, payés bien en dessous du Smic, se retrouvent à devoir choisir entre manger, se loger et se soigner. Avec les assistantes sociales, on essaye de faire ce qu’on peut… En fait, ce sont des populations extrêmement vulnérables, mal suivies et mal conseillées. Certains salariés continuent de travailler alors qu’ils devraient être en arrêt de travail ou à la retraite.

Comment est aménagé le dispositif de prévention pour les personnes qui maîtrisent mal le français ou peuvent être illettrées ?

Dr X : Il y a plusieurs niveaux de prévention : la prévention primaire porte sur la prévention des risques avant l’apparition de pathologies, la prévention secondaire consiste à dépister les maladies professionnelles, ou d’autres maladies, et, enfin, la prévention tertiaire concerne la réparation, donc tout ce qui relève de l’aide sociale, la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, la reconnaissance des maladies professionnelles.

    En tant que médecin du travail, je fais plutôt de la prévention secondaire pour dépister les maladies professionnelles et de la prévention tertiaire afin d’éviter la désinsertion et les aider pour la réparation. La prévention primaire est surtout assurée par les infirmières santé au travail qui voient les salariés lors de la visite d’information et de prévention. Elles sont chargées d’informer sur les risques puisque les salariés n’ont pas encore de pathologie. On a des petites plaquettes explicatives avec des éléments graphiques. Quand je fais la prévention primaire, j’essaye d’expliquer mais, très souvent comme ils ne comprennent pas bien, ils viennent accompagnés de leurs enfants ou de leur conjoint, voire quelquefois avec les représentants du personnel, sinon on appelle les enfants par téléphone de façon à communiquer un peu mieux. Et je les fais venir très souvent en visite car normalement, la visite au service de santé au travail pour des agents de ménage censés n’avoir aucun risque professionnel est prévue tous les cinq ans. Cette périodicité, prévue par le code du travail, n’est pas du tout adaptée au suivi de ces populations. Donc je les fais revenir au bout de trois mois, six mois, un an, ou souvent trois ans, quand ils ne vont pas trop mal lors de la première visite. On estime d’emblée, un peu à la louche, au bout de combien de temps il faut les revoir, pour les suivre, pour les aider, pour leur trouver des solutions médico-sociales.

Dans le cadre du suivi médical, la situation administrative des personnes est-elle abordée ?

Dr X : La plupart des salariés que je vois en visite ont un titre de séjour, même si certains nous indiquent avoir galéré pour en avoir un. Dans le secteur du nettoyage, l’employeur nous adresse une demande de visite médicale pour tel salarié, donc s’il a des salariés qui ne sont pas en règle, peut-être ne nous les adresse-t-il pas ? On a peut-être un biais à ce niveau-là.

Comment les mesures de prévention et d’aménagement de poste que vous préconisez sont concrètement mises en œuvre ?

Dr X : Cela est laissé un peu à la bonne volonté de l’employeur mais cela dépend aussi largement de la marge de manœuvre dont il dispose. Dans le nettoyage, ce n’est pratiquement que de la prestation de services : ces entreprises ont des clients donneurs d’ordre, et ces derniers ne sont, en règle générale, responsables de rien. L’employeur prestataire est donc contraint par ce qu’accepte ou non le donneur d’ordre. En matière de prévention, le prestataire peut fournir certaines choses, comme des chaussures de sécurité, mais, dans bien des cas, il est limité quant à ce qui peut être aménagé. Certains donneurs d’ordre refusent qu’on aille voir l’intégralité du site et nous cantonnent aux locaux attribués aux prestataires, par exemple les vestiaires ou le local où sont stockés les produits. S’il s’agit de bureaux, en général il n’y a pas trop de problème, mais dans l’industrie, on est limité dans notre observation, on ne voit pas ce qu’il se passe concrètement sur le lieu de travail des agents de nettoyage.



Dans le secteur de l’hôtellerie, vous vous heurtez aussi à ces difficultés ?

Dr X : Ce n’est pas tout à fait identique car deux systèmes coexistent. Il y a encore quelques hôtels, notamment de luxe, qui ont leur propre personnel, tout est internalisé : l’employeur va essayer de mettre en place la plupart des moyens de prévention collective ou individuelle, parce qu’il va payer les accidents du travail, les maladies professionnelles, il a donc tout intérêt à le faire. D’autres, et de plus en plus les chaînes d’hôtel de basse ou moyenne gamme, externalisent : les salariés appartiennent à une société prestataire de services. Dans ce cas, c’est au prestataire d’assumer la charge financière des maladies professionnelles et des accidents de travail. Le donneur d’ordre, lui, n’assume rien, et la prévention avance beaucoup moins puisqu’il n’y a pas de pénalité financière pour ce dernier.

Existe-t-il une dimension genrée des risques professionnels, en fonction des secteurs ?

Dr X : Il y a une majorité de femmes dans le secteur du nettoyage mais elles n’ont pas nécessairement les mêmes postes que les hommes. Les laveurs de vitres, les machinistes sont, le plus souvent, des hommes alors que les agents de ménage dans les bureaux, les résidences sont plutôt des femmes, et dans l’industrie ce sont généralement des hommes. Il y a donc une dimension genrée mais qui est liée plutôt à la perception des risques, et selon le type d’activité.

Le niveau de qualification joue-t-il un rôle dans l’application des dispositifs de prévention, ainsi qu’en cas d’inaptitude et de reclassement ?

Dr X : Le niveau de qualification entre en jeu, c’est certain, mais ce qui joue avant tout, c’est l’âge. Avoir une inaptitude à 40 ans, ce n’est pas la même chose que si l’on a 55 ans car à cet âge-là, les formations sont très compliquées, a fortiori si on ne sait pas lire ni écrire ; il devient donc difficile d’envisager un quelconque reclassement. Je tente systématiquement d’inciter les salariés qui ont la quarantaine à faire des formations, des mises à niveau en français, en lecture. Il y a beaucoup de métiers sans qualification, mais où les risques sont similaires à ceux auxquels ils étaient déjà confrontés, donc on les incite à se former. Mais, au final, on ne sait pas vraiment ce qu’ils deviennent une fois que l’inaptitude est prononcée. Il m’est arrivé de faire une inaptitude pour un agent de nettoyage et, deux ans après, de retrouver cette personne dans une autre société de nettoyage, avec le même métier. C’est dire combien c’est compliqué. On leur dit : « Vous allez à Pôle emploi, vous êtes reconnu travailleur handicapé, maintenant vous allez pouvoir vous faire aider par Cap emploi. » Mais en pratique, sont-ils au chômage le temps de leurs droits ? Et après, que font-ils ? Que se passe-t-il deux ou trois ans après la mise en inaptitude chez les jeunes de 45 ans ? Ceux âgés de 58 ou 60 ans vont-ils poursuivre au chômage jusqu’à demander des droits à la retraite, et les plus jeunes finissent-ils encore précaires, sans aucune ressource ?

Observez-vous une évolution des conditions de travail, et par ricochet, du profil des personnes déclarées inaptes ?

Dr X : Elles sont inaptes de plus en plus jeunes, et c’est ce qui est inquiétant. Auparavant, c’était plutôt autour de 60 ans, aux alentours de l’âge de la retraite. Maintenant, j’ai tendance à en voir de plus en plus qui ont 40, 45 ans, voire plus jeunes. Il n’y a pas d’étude pour savoir ce qu’ils deviennent. Ils ont des maladies ostéo-articulaires de partout, ils ont des atteintes des épaules, des coudes, des poignets, des genoux avec des maladies professionnelles multiples pour lesquelles ils perçoivent une indemnisation rudimentaire, lorsqu’elles sont reconnues par la sécurité sociale.

Comment expliquer cette tendance ?

Dr X : Les cadences ont, à mon sens, fortement augmenté. Dans le nettoyage notamment, il y a un système de transfert d’entreprise : tous les deux ou trois ans, les donneurs d’ordre font des appels d’offre et prennent, à chaque fois, « le moins disant », celui qui leur coûte le moins cher, qui diminue le nombre d’heures sans augmenter le nombre de salariés. De fait, les cadences s’accélèrent au fil du temps. Les salariés sont transférés au nouveau prestataire. Et, au bout de dix ou vingt ans, à répéter les mêmes gestes, et ce, toujours plus rapidement, à faire de plus en plus de tâches en un temps réduit, les salariés sont cassés, plus vite et de plus en plus jeunes.

    On n’a aucune prise sur les donneurs d’ordre. Il y a eu des tentatives, y compris au niveau réglementaire [1], pour que les choses changent, mais elles ont avorté. Dans l’intérim, les salariés sont, sur le plan réglementaire du moins, plutôt mieux protégés que dans la prestation de service en nettoyage. En cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle, la participation financière est gérée à la fois par la société d’intérim et par le client ; et les intérimaires sont aussi plus intégrés à l’entreprise cliente que dans la prestation de services. Mais cette question n’intéresse pas grand monde. Les entreprises de propreté sont aussi un peu « chouchoutées ». Alors que, dans presque tous les autres domaines, il faut des qualifications, elles sont pratiquement les seules à donner du travail aux personnes non qualifiées immigrées, donc on ne va pas trop les embêter si elles n’offrent pas de bonnes conditions de travail, si elles ne respectent pas la réglementation…

Qu’en est-il de l’obligation de reclassement mis à la charge de l’employeur ?

Dr X : Le médecin du travail détermine deux types d’inaptitude. Il existe une dispense de reclassement vis-à-vis de l’employeur, en particulier pour les salariés relativement âgés, avec des invalidités de la sécurité sociale. La réduction de leur capacité de travail est telle qu’elle empêche tout travail.

    Pour les plus jeunes, on demande un reclassement professionnel mais c’est souvent sur la pénibilité physique qu’ils ont une inaptitude donc le reclassement dans les entreprises de nettoyage est pratiquement impossible puisque celles-ci ne proposent qu’un, voire deux types de poste, agent de nettoyage ou laveur de vitres, parfois machiniste. En hôtellerie, des femmes de chambre deviennent quelquefois gouvernantes, un poste tout aussi pénible physiquement. La marge de manœuvre est donc très limitée parce qu’il s’agit d’entreprises avec un secteur d’activité réduit et, pour ainsi dire, un seul type de poste. La plupart du temps, il n’y a pas de reclassement et les salariés sont licenciés pour raison médicale, sans que l’on sache ce qu’ils deviennent.

Ce constat de corps cassés par le travail vaut tant pour l’hôtellerie que le nettoyage ?

Dr X : Oui, dès qu’il s’agit de prestation de services. Dans l’hôtellerie classique, les salariés sont intégrés dans l’hôtel : ils font partie du personnel, vont travailler de jour, et non en horaires décalés ; ils vont bénéficier des avantages sociaux de l’entreprise, de l’aide d’un service ressources humaines de proximité. L’encadrement et les cadences ne sont pas les mêmes que dans la prestation de services. Toutes les conditions sociales et d’activités, ainsi que les liens sociaux vont être différents dans un hôtel qui ne recourt pas à la prestation de services. Alors que, quand les agents de nettoyage travaillent de 6 heures à 9 heures ou de 18 heures à 21 heures, ils ne rencontrent personne sur le site, ils sont complètement isolés et déconnectés de l’entreprise, ne savent pas qui joindre pour obtenir des informations. Ils nous le disent tout le temps, ils ne savent pas qui contacter pour leur prévoyance et l’indemnisation des arrêts de travail. La prévoyance, c’est une vraie galère dans le nettoyage. Ils sont perdus et seuls à tous les niveaux. J’oriente presque systématiquement ces personnes vers une assistante sociale et vers un médecin de soins. Mais les solutions pour améliorer leur situation restent quand même très limitées.

Avez-vous été confrontée à des situations où des salariés ont renoncé à déclarer un accident de travail ou une maladie professionnelle ?

Dr X♀ : Sur les accidents du travail, cela peut arriver parce que les salariés sont mal conseillés, et plus rarement, il peut y avoir des pressions des employeurs pour ne pas les déclarer. En revanche, les maladies professionnelles sont méconnues et plus compliquées à déclarer. C’est un parcours du combattant : il faut avoir un médecin bien formé qui accepte de le faire, en utilisant les bons formulaires ; ensuite la sécurité sociale étudie le dossier et, si elle refuse, il faut un passage en comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles… Par ailleurs, l’assurance maladie demande désormais aux salariés de remplir des questionnaires sur son site, ce qui est problématique pour toutes celles et ceux qui ne maîtrisent ni la langue ni l’informatique. Souvent nous introduisons la procédure, qu’il nous faut ensuite suivre. Une fois la maladie professionnelle reconnue, le parcours reste ardu : il peut y avoir des rechutes qui peuvent être refusées. Souvent, les salariés n’ont pas une mais deux, trois, voire quatre maladies professionnelles… Tant les salariés que les médecins ne s’y retrouvent pas, et la sécurité sociale non plus. C’est une vraie catastrophe pour les salariés qui se retrouvent ainsi en difficulté. Donc les maladies professionnelles sont évidemment sous-déclarées, et, d’une façon générale, elles ont plutôt tendance à s’aggraver.


Propos recueillis par Pascaline Chappart.




Notes

[1] Voir notamment Assemblée nationale, Femmes de ménage : encadrer la sous-traitance, cesser la maltraitance, rapport n° 3013 de François Ruffin, 27 mai 2020.

samedi 19 avril 2025

Analyse du film "l'Aube Rouge" (1984) sous l'angle Syndicaliste Révolutionnaire

 

 

    Une analyse d'un point de vue syndicaliste révolutionnaire de L'Aube Rouge (Red Dawn) nous permet d'examiner le film sous l'angle des luttes ouvrières, des dynamiques de pouvoir entre classes sociales et de la résistance collective face à l'oppression. Le courant syndicaliste révolutionnaire, inspiré par des figures comme Émile Pouget, Georges Sorel ou les anarchistes du début du XXe siècle, met l'accent sur l'Action Directe, l'autonomie des travailleurs et la destruction des structures autoritaires. Bien que L'Aube Rouge soit un produit de la culture populaire américaine des années 1980, il contient des éléments qui peuvent être interprétés à travers ce prisme, bien qu'ils soient souvent détournés pour servir une idéologie nationaliste. 

 


 

1. Résistance collective et action directe

    a) Guérilla comme forme de résistance

    Le concept de guérilla menée par les Wolverines peut être comparé aux formes d'action directe prônées par les mouvements syndicalistes révolutionnaires. Ces derniers voient dans l'Action Directe (grèves, sabotages, occupations) un moyen pour les travailleurs de reprendre le contrôle de leur vie et de combattre les forces oppressives.

    Les Wolverines utilisent des tactiques similaires à celles des mouvements ouvriers : attaques ciblées contre les infrastructures ennemies, harcèlement constant des forces d'occupation et utilisation de leur connaissance locale pour maximiser leur impact. Toutefois, dans le contexte du film, cette résistance est déconnectée des luttes de classe. Elle est présentée comme une défense patriotique plutôt que comme une lutte contre une oppression économique ou sociale.

    b) Autonomie et organisation horizontale

    Les personnages adolescents forment une unité autonome, sans hiérarchie imposée par des institutions extérieures (gouvernement, armée). Cette autonomie rappelle les principes syndicalistes qui valorisent l'organisation horizontale et la prise de décision collective.

    Cependant, cette autonomie reste limitée dans le film, car les Wolverines adoptent rapidement une structure militarisée avec Jed Eckert comme meneur charismatique. Cette centralisation du pouvoir reflète une tendance à reproduire des structures autoritaires, même dans des contextes de résistance.

 

 

2. Classe ouvrière et invisibilisation des luttes économiques

    c) Absence de luttes ouvrières

    L'Aube Rouge ne traite pas explicitement des conflits de classe ou des luttes économiques. Les personnages principaux appartiennent à des familles relativement privilégiées (entrepreneurs, propriétaires fonciers), et les travailleurs manuels ou les populations marginalisées sont absents de l'intrigue.

    Cette omission reflète une vision capitaliste classique où les inégalités sociales sont invisibilisées au profit d'une unité nationale fictive. Une analyse syndicaliste critique cette absence en soulignant que les véritables menaces pour les individus proviennent souvent de l'exploitation économique et non des invasions étrangères. En omettant de montrer les divisions internes à la société américaine, le film renforce une idéologie bourgeoise qui masque les luttes des classes populaires.

    d) Exploitation symbolique des jeunes

    Les adolescents dans le film sont mobilisés pour défendre leur communauté sans questionner les structures de pouvoir qui ont permis la situation d'occupation. Cette exploitation peut être vue comme une métaphore des jeunes travailleurs exploités dans des systèmes capitalistes, où leur énergie est canalisée pour soutenir des intérêts qui ne sont pas les leurs. Les Wolverines sacrifient leur vie pour protéger une communauté idéalisée, mais ils ne remettent jamais en question les inégalités économiques ou les causes profondes de leur oppression.

 

 

3. Critique des structures autoritaires

    e) Rejet de l'autoritarisme soviétique

    Le film présente les Soviétiques comme des envahisseurs brutaux imposant un régime totalitaire. Ce rejet de l'autoritarisme pourrait être aligné avec les critiques syndicalistes révolutionnaires contre toute forme de domination oppressive, qu'elle soit étatique ou capitaliste.

    Toutefois, cette critique est sélective. En diabolisant uniquement les régimes communistes, le film évite de questionner les structures autoritaires propres aux États-Unis, telles que le militarisme, l'exploitation économique ou le contrôle des médias.

    Une perspective syndicaliste révolutionnaire exigerait une analyse plus large des systèmes d'oppression, incluant à la fois le capitalisme et les régimes autoritaires.

    f) Militarisme comme outil de contrôle

    Le militarisme omniprésent dans le film peut être analysé comme un mécanisme de contrôle social. La transformation des adolescents en guerriers illustre comment les institutions (ici, l'armée) façonnent les individus pour répondre aux besoins d'un système autoritaire. Les personnages abandonnent leur individualité et leur humanité pour devenir des instruments de violence. Cela reflète la manière dont les systèmes autoritaires exploitent les travailleurs et les citoyens pour maintenir leur pouvoir.

 

 

4. Communauté et solidarité

    g) Solidarité localisée

    La résistance des Wolverines repose sur une solidarité communautaire, centrée sur leur petite ville rurale. Cette solidarité locale peut être comparée aux initiatives de mutualisme ou de coopération promues par les mouvements syndicalistes. Cependant, cette solidarité reste confinée à une communauté homogène et exclut les perspectives des groupes marginalisés (ouvriers urbains, minorités ethniques, etc.). Une analyse syndicaliste critique cette limitation en soulignant la nécessité d'une solidarité transversale qui dépasse les frontières locales et nationales.

    h) Manque de conscience collective

    Bien que les personnages collaborent pour résister à l'envahisseur, ils manquent de conscience collective quant aux causes profondes de leur oppression. Ils se battent pour défendre une abstraction ("la liberté") sans remettre en question les structures économiques et politiques qui les oppriment. Une perspective syndicaliste révolutionnaire insisterait sur la nécessité d'une prise de conscience collective des racines économiques et sociales de l'oppression, afin de transformer radicalement la société.

 

 

5. Internationalisme vs. Nationalisme

    i) Rejet de l'internationalisme prolétarien

    Le film rejette explicitement l'idée d'une solidarité internationale entre les peuples. Les Soviétiques et leurs alliés sont dépeints comme des ennemis irréductibles, ce qui empêche toute possibilité de coopération ou de compréhension mutuelle. Cette vision nationaliste s'oppose directement aux principes syndicalistes révolutionnaires qui prônent l'internationalisme prolétarien. Pour les syndicalistes, les travailleurs du monde entier doivent s'unir contre les forces communes d'exploitation, qu'elles soient capitalistes ou étatiques.

    j) Propagande anti-communiste

    En déshumanisant les Soviétiques et leurs alliés, le film participe à une propagande anti-communiste qui divise artificiellement les travailleurs du monde entier. Cette division empêche toute critique collective des systèmes d'exploitation, qu'ils soient capitalistes ou autoritaires. 

 


 

Conclusion

    Une analyse syndicaliste révolutionnaire de L'Aube Rouge révèle que le film utilise des thèmes de résistance et de solidarité pour renforcer une idéologie nationaliste et capitaliste. Bien que certains aspects puissent être comparés aux principes syndicalistes (action directe, autonomie, solidarité), ces éléments sont détournés pour servir une vision patriotique qui ignore les luttes de classe et les inégalités économiques.

    Pour résumer, L'Aube Rouge est un exemple de la manière dont la culture populaire peut coopter des idéaux de résistance pour légitimer des structures autoritaires et nationalistes. Une lecture syndicaliste critique permet de déconstruire ces mécanismes et de mettre en lumière les contradictions entre les idéaux de libération collective et les réalités de l'exploitation capitaliste.

vendredi 11 avril 2025

PRISES de PAROLE à l'ANNEXE VARLIN de la BOURSE du TRAVAIL de PARIS le 11 avril 2025

Pour fêter la victoire contre le projet de transformer l’un des bâtiments de la Bourse du travail en "logements sociaux", un pot fraternel fut organisé par les syndicats ce vendredi 11 avril 2025 à 12:30, dans la cour de l'annexe Varlin de la Bourse du Travail située au 85 rue Charlot.

Voici la captation des prises de parole des représentants des organisations syndicales dont la C.G.T.F.O.

mercredi 9 avril 2025

1er MAI 2025 inFOrmation (liens et affiches)

Rosa LUXEMBURG - Quelles sont les ORIGINES du 1er MAI ? (1894)

Fernand PELLOUTIER : Appel du 1er mai 1896

 Rendez-vous à 9:30 au mur des Fédérés du Père Lachaise pour une prise de parole et 14:00 à place d'Italie pour la manifestation unitaire qui ira en direction de la place de la Nation.




 






jeudi 3 avril 2025

Analyse du film "Road House" (1989) d'un point de vue Syndaliste Révolutionnaire

 


    Le syndicalisme révolutionnaire met l'accent sur l'action directe, l'autonomie ouvrière et la transformation radicale des structures économiques et sociales par le biais de la lutte collective. À travers cette perspective, Road House peut être analysé comme une métaphore de la résistance ouvrière contre l'exploitation capitaliste et ses inhérents abus de pouvoir. Voici une analyse approfondie des thèmes du film sous cet angle.


 

1. Exploitation Économique et Domination Bourgeoise

    Un des piliers du syndicalisme révolutionnaire est la critique de l'exploitation économique des travailleurs par la bourgeoisie. Brad Wesley incarne cette domination bourgeoise.

    a) Wesley : Le Patron Exploiteur

    Wesley est un magnat foncier qui utilise sa richesse et son influence pour contrôler la ville, exploiter les habitants et accaparer les ressources locales. Il impose des conditions oppressives aux travailleurs, notamment en manipulant les loyers et en utilisant la violence pour maintenir son emprise. Cette dynamique reflète la manière dont les patrons capitalistes exploitent les travailleurs en les privant de leur autonomie et de leur dignité.

    Dans une perspective syndicaliste révolutionnaire, Wesley représente non seulement un individu corrompu mais aussi un système économique injuste. Son comportement illustre comment les élites utilisent la peur et la coercition pour empêcher toute forme d'organisation collective chez les travailleurs.

    b) Les Travailleurs Aliénés

    Les employés du Double Deuce, avant l'arrivée de Dalton, sont aliénés de leur travail et de leurs droits. Ils subissent des conditions dangereuses et dégradantes sans possibilité de se défendre. Cette aliénation est une conséquence directe de l'exploitation capitaliste, où les travailleurs deviennent des outils interchangeables au service du profit.

    En termes syndicalistes, ces employés incarnent le prolétariat opprimé, privé de tout contrôle sur les moyens de production et réduit à une condition de servitude économique. Leur silence initial face à l'oppression de Wesley reflète une absence de conscience collective, un phénomène souvent observé dans les sociétés capitalistes où les travailleurs sont atomisés et désorganisés.


 

2. L'Action Directe et la Solidarité Ouvrière

    Le syndicalisme révolutionnaire prône l'action directe et la solidarité comme moyens de lutte contre l'exploitation. Dalton joue un rôle clé en catalysant une mobilisation collective.

    a) Dalton : Organisateur de la Résistance

    Bien que Dalton ne soit pas explicitement un syndicaliste, ses actions peuvent être interprétées comme une forme d'organisation de la résistance. En imposant des règles strictes au Double Deuce, il redonne aux employés un sentiment de dignité et de respect. Ce processus reflète l'idée syndicaliste selon laquelle les travailleurs doivent reprendre le contrôle de leurs lieux de travail pour combattre l'aliénation.

    Dalton agit également comme un médiateur entre les employés et les forces extérieures (comme les clients violents ou les hommes de main de Wesley). Sa présence symbolise une figure de leadership horizontal, inspirant les travailleurs à s'unir plutôt qu'à suivre aveuglément un chef autoritaire.

    b) Solidarité Ouvrière

    La transformation du Double Deuce en un lieu pacifié et respectueux reflète l'idéal syndicaliste de solidarité ouvrière. Les employés, initialement divisés et apathiques, commencent à travailler ensemble pour améliorer leur environnement. Cette dynamique montre comment la solidarité peut émerger lorsque les travailleurs prennent conscience de leurs intérêts communs.

Dans une perspective syndicaliste révolutionnaire, cette solidarité est essentielle pour renverser les structures oppressives. Les employés du bar, soutenus par Dalton, deviennent une force collective capable de résister à l'oppression de Wesley.


 

3. La Violence Institutionnelle et la Répression

    Le syndicalisme révolutionnaire critique également la violence institutionnelle utilisée pour maintenir l'ordre capitaliste. Wesley utilise la violence pour intimider les habitants et prévenir toute forme de résistance.

    c) Violence comme Outil de Contrôle

    Les hommes de main de Wesley représentent la répression brutale exercée par les élites pour maintenir leur domination. Cette violence institutionnelle est une caractéristique clé des systèmes capitalistes, où l'État et les patrons collaborent pour étouffer toute menace à leur pouvoir.

    En réponse, Dalton adopte une stratégie de légitime défense. Ses confrontations physiques avec les sbires de Wesley peuvent être vues comme une forme d'action directe, où la violence est utilisée uniquement comme moyen de protection et de résistance. Cela reflète une approche syndicaliste selon laquelle la violence n'est justifiée que lorsqu'elle est nécessaire pour protéger les intérêts des travailleurs.

    d) Refus de la Vengeance Individuelle

    Un aspect important de l'action directe syndicaliste est qu'elle doit être collective et orientée vers des objectifs systémiques, plutôt que motivée par des désirs personnels de vengeance. Dalton illustre ce principe en refusant de tuer Wesley malgré ses crimes. Au lieu de chercher une vengeance individuelle, il préfère remettre Wesley aux autorités, montrant ainsi que la véritable transformation sociale nécessite une action collective organisée.


 

4. La Transformation Sociale et la Rupture Révolutionnaire

    Un autre pilier du syndicalisme révolutionnaire est la rupture avec les structures existantes pour créer un nouveau système basé sur la justice et l'égalité. Dans Road House, cette idée est représentée par la transformation de la ville sous la direction de Dalton.

    e) Renversement du Système Oppressif

    La lutte contre Wesley symbolise une tentative de rupture avec le système capitaliste oppressif. En mobilisant les habitants de la ville et en affaiblissant le pouvoir de Wesley, Dalton et ses alliés créent les conditions pour une transformation sociale plus large. Cela reflète l'idée syndicaliste révolutionnaire selon laquelle seule une action collective peut renverser les structures injustes.

    f) Reconstruction Communautaire

    Après la chute de Wesley, la ville commence à se reconstruire. Cette reconstruction reflète l'idéal syndicaliste d'une société autogérée, où les travailleurs reprennent le contrôle de leurs lieux de vie et de travail. Le Double Deuce, désormais pacifié, devient un symbole de cette transformation, où les employés et les clients coexistent dans un environnement respectueux et égalitaire.


 

5. Conclusion : Une Métaphore de la Lutte Syndicaliste Révolutionnaire

    À travers une analyse syndicaliste révolutionnaire, Road House peut être vu comme une métaphore de la lutte des travailleurs contre l'exploitation capitaliste et ses intrinsèques abus de pouvoir. Le conflit entre Dalton et Wesley symbolise la confrontation entre les forces de l'exploitation et celles de la résistance collective. Le film met en lumière l'importance de l'action directe, de la solidarité ouvrière et de la transformation sociale pour renverser les structures oppressives.

    En fin de compte, Road House offre une vision optimiste de la capacité des travailleurs à s'unir et à lutter pour un monde meilleur. Bien que le film soit souvent perçu comme un divertissement d'action, il contient des thèmes profondément syndicalistes qui invitent à réfléchir sur les mécanismes de domination et les possibilités de changement radical.

lundi 31 mars 2025

1er avril, n'est-ce pas le moment d'être pêcheur au lieu de poisson ?

 

   

Paroles d'un Militant Syndicaliste anonyme



    Aujourd'hui, nous sommes le 1er avril, un jour où chacun peut devenir la cible d'une farce ou d'une blague. Mais réfléchissons un instant : dans nos vies professionnelles, combien d'entre nous ne se sentent-ils pas déjà comme des poissons d'avril ? Combien d'entre nous acceptent encore d'être manipulés, exploités, ou pris pour des marionnettes par le patronat ?   

    Oui, il est temps de poser la question cruciale : n'est-ce pas le moment d'être pêcheur au lieu de poisson ?

    Regardez autour de vous. Chaque jour, nombreux sont ceux qui travaillent dur, souvent dans des conditions difficiles, sans voir leurs efforts récompensés à leur juste valeur. Ces travailleurs, ces hommes et ces femmes, sont comme des petits poissons, dispersés, isolés, et vulnérables.   

    Seuls, ils font face à un gros poisson, un squale – symbole du patronat glouton, qui domine, contrôle et exploite sans scrupule. Face à ce prédateur, que peuvent faire ces petits poissons isolés? Rien. Ils sont des proies faciles, des victimes silencieuses d'un système d'exploitation et d'oppression.   

    C'est exactement ce que veut le patronat : nous maintenir divisés, sans voix, sans pouvoir. Parce qu'il sait bien que, seuls, nous sommes faibles. Seuls, nous sommes des poissons d'avril, des cibles faciles, de la gnognotte.

    Mais aujourd'hui, il est temps de changer cette réalité. Il est temps de cesser d'être de la pisciculture, des poissons bons à pêcher  et de devenir des pêcheurs !   

    Comment? En nous regroupant, en nous organisant, en formant une force collective capable de lutter contre le patronat. Ensemble, nous ne sommes plus des proies. Ensemble, nous devenons une force. Une force capable de négocier, de résister, et surtout, de gagner !   

    Lorsque les petits poissons s'unissent, ils encerclent le grand poisson. Ils montrent qu'ils ne sont plus des victimes, mais des acteurs de leur propre destin. C'est cela, la solidarité ouvrière : transformer notre faiblesse individuelle en puissance collective.

    Alors, aujourd'hui : êtes-vous prêts à passer de la position de poisson à celle de pêcheur ?    

    Nous ne pouvons pas attendre que les choses changent toutes seules. Nous devons être les artisans de ce changement. Chaque travailleur compte, chaque adhésion renforce notre force. Alors, ensemble, montrons au patronat que nous ne sommes plus des poissons d'avril. Nous sommes des pêcheurs, unis et déterminés !

    Le 1er avril est peut-être le jour des farces, mais aujourd'hui, nous décidons de ne plus être des victimes, des victimes du patronat. Nous décidons de prendre notre destin en main.   

    Isolés, nous sommes des proies.

    Groupés, nous sommes une force.

    Seuls, nous sommes des poissons d'élevage.

    Ensemble, nous devenons des pêcheurs.    

    Alors, rejoignez-nous.

    Organisez-vous.

    Mobilisez-vous.

    Comme le dit si bien cet adage japonais : "Seul, nous sommes une goutte d'eau. Ensemble, nous formons un océan."    


« Isolés, vous êtes des proies.

Groupés, nous sommes une force,

une Force Ouvrière !

Rejoignez la solidarité ouvrière ! » 

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